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Bienvenu(e)s sur ce blog dédié aux mythes, contes et légendes classiques mais aussi à la fantasy et à la science-fiction (notamment contes de SF et suites futuristes de légendes, dans mon livre "Les mémoires du Galaxytime").

La sirène-dragon de La Latte

Après les années 2010, entre la Baie de la Fresnaye et le Fort La Latte, sur une période de deux semaines plusieurs vaisseaux marins ou spatiaux avaient fait naufrage.

En partant vers le couchant, beaucoup de gens redoutaient la colère de la mer et du vent.

Selon les uns de sévères bourrasques fouettèrent violemment les voyageurs et l’océan déchaîné fit sombrer les navires, selon d’autres les navigateurs périrent distraits par une sirène au chant mélodieux ou consumés par le souffle ardent d’un dragon. Ce saurien de la légende d’autrefois éprouvait en effet un certain ressentiment depuis la libération de sa captive à queue de poisson par un homme de passage. Le serpent geôlier semblait avoir sévi dans la région du Fort la Latte.

Des personnes devisaient attablées.

Tornbrik affirma que la légendaire venue de Gargantua aux abords du château avait empêché l’arrivée et la présence de créatures dangereuses. Persuadé de connaître tous les récits de Saint Malo jusqu’à Erquy, cet orateur ignorait et niait toute histoire de reptile et de nymphe aquatique. Il savait intimider ses interlocuteurs en employant son ton à la fois catégorique et rempli de suffisance. Certains habitants de la contrée connaissaient le folklore local bien mieux que lui mais aucun d’entre eux n’osait vraiment le dire : maintenir le cap sur une argumentation en vue de raisonner Tornbrik c’était se risquer vers les écueils et récifs de ses habituelles discussions houleuses.

Arbrok, un pêcheur des environs, eut la témérité de mentionner deux célèbres sirènes. Selon lui celle de la Fresnaye ne paraissait pas rancunière : elle récompensait autrefois les personnes lui venant en aide. Il proposa ensuite de parler d’une autre néréide : celle redevenue humaine en échappant à l’emprise d’un dragon. Ce ravisseur ailé ne pouvait-il pas ressentir une vive colère depuis l’évasion de son ancienne prisonnière ?

Se sentant pris en défaut, Tornbrik devint virulent et usa d’arguments fallacieux dans l’espoir de discréditer son contradicteur. Percevant l’impossibilité de la discussion, Arbrok ne répondit pas. Il ne souhaitait pas rivaliser avec un homme aussi vipérin.

 Le jour suivant, des intempéries survinrent simultanément au naufrage d’un nouveau vaisseau transportant des touristes ayant probablement songé à partir ensuite sur Mars et Vénus. L’infortuné navire disparut à jamais. La mer redevint calme mais Tornbrik tempêta. Il trouvait stupide l’idée de relayer un nouveau récit relatant ces récents événements. Quelqu’un se présenta pourtant comme rescapé de cette catastrophe et publia le billet suivant :

« Dans la mer entre Plévenon et la baie de la Fresnaye, vers le rocher du Fort La Latte, le vent soufflait de manière très stridente : on croyait entendre une furieuse sirène. Le tonnerre grondait de façon si terrible que l’on pouvait le confondre avec le grognement d’une créature monstrueuse. Ce roulement de tambour annonçait la suite : le vaisseau se retourna. Il fit volte-face dans les airs. Un humanoïde cybernétique passa par-dessus bord. Soudain une femme à corps écailleux surgit et rattrapa le cyborg, le sauvant ainsi de la noyade. Elle l’emmena sur son char jusqu’à son palais sous-marin. L’homme robotique en question c’était moi. Elle me mit dans un cachot de sa mystérieuse forteresse subaquatique. La demoiselle à la fois néréide et dragon répondait au nom d’Alranta. Sa queue de poisson surmontée par des ailes de ptérodactyle et le haut de son corps humain lui venaient de ses parents : le légendaire dragon d’antan et la sirène de la Fresnaye, chère au conte d’autrefois. Cette dernière partit dans un pays lointain et ne revint pas. Le saurien devenait donc doublement furieux, car délaissé successivement par deux femmes à queue de poisson. N’ayant jamais accepté le départ de sa prisonnière d’autrefois redevenue humaine, il se sentait d’autant plus mécontent d’avoir été abandonné brutalement par sa nouvelle partenaire, la puissante néréide locale qui avait donné naissance à sa fille peu de temps avant de quitter la contrée.

Devenue adulte, Alranta imita son père car elle emprisonna un matelot afin de le rendre triton. Dotée d’un vrai caractère de dragon, la séduisante jeune femme se prenait parfois pour la Lorelei de Schreiber, se mettant certains soirs à chanter non loin de la Roche Goyon. Nue sur un rocher après avoir pris une forme totalement humaine, la sirène serpentine riait d’un air narquois en voyant sombrer les vaisseaux conduits par les voyeurs ou curieux distraits et attirés par son chant si sensuel ! Caressés par la douceur de l’onde puis ballotés par un orageux tourbillon, ces hommes et leurs embarcations s’embrasaient sous le feu du ciel avant d’être submergés. Toutefois cette nymphe maritime récompensait les jeunes gens si leur but initial se limitait à faire de la plongée ou de la voile : elle leur indiquait quels étaient les meilleurs spots locaux. De plus elle domptait les vagues afin d’éviter à certains de périr dans la tempête. Un soir elle noya un véliplanchiste car il avait eu l’imprudence de la quitter pour une femme de Plévenon. Dans le cachot se trouvait un compagnon de cellule : un triton, sorte de poisson anthropomorphe. Une chaîne en or entravait sa cheville. Ce captif m’expliqua tout ce qu’il savait au sujet de cette princesse de la mer.

Elle ronflait de manière très bruyante, ce qui me permit de m’échapper. Une fois sa chaîne ôtée par mes soins, le triton redevint humain et m’indiqua le chemin vers la terre ferme. Son humanité retrouvée risquant d'entraîner le courroux de sa geôlière, ce codétenu décida donc de devenir mon complice d’évasion. Nous partîmes tous deux en prenant une sorte de chaloupe. Durant ce trajet de retour vers le continent il me parla longuement de la vie dans le château sous-marin et me révéla bien des choses sur les habitudes de cette naïade de la Manche mais aussi sur son comportement en dehors du palais ».

Ce billet s’achevait ainsi et était signé du numéro d’immatriculation d’un cyborg qui reprit sa route le lendemain de la publication. Ce texte constituait la première et plus ancienne mention écrite au sujet d’Alranta. Concernant son réel auteur certains supposèrent qu’il pouvait en fait s’agir d’Arbrok ne souhaitant pas être identifié car ne voulant pas contredire Tornbrik de manière frontale. Des robots se demandèrent si le billet ne représentait pas une éventuelle allégorie du désir.

Comment le prétendu androïde avait-il pu enlever la chaîne du triton ? Les uns imaginèrent un rayon laser dissimulé dans les doigts de l’individu cybernétique, les autres envisagèrent divers procédés. Selon certains orateurs, cet humanoïde put s’échapper après avoir vaincu d’énormes « crabes centaures » qui montaient la garde à la sortie du palais sous-marin. Son compagnon d’évasion quitta la région, que lui arriva-t-il ensuite ?
Le texte du mystérieux auteur relatant son aventure devenait de plus en plus connu. Les langues commençaient à se délier et des personnes prenaient la plume concernant ce serpent de mer.

L’histoire de cette demoiselle aimant s’admirer dans un miroir paraissait ainsi enrichie par de nombreux récits écrits et oraux.

  Les versions variaient selon les époques. On se mettait à raconter diverses choses.

Si un homme jeune refusait les avances de la sirène, elle devenait dragon et incendiait les bateliers. Si un pêcheur de Fréhel remettait ses poissons à l’eau en leur laissant la vie sauve, dans ce cas Alranta lui faisait bénéficier de ses faveurs ou lui indiquait les bons spots de surf et de planche à voile. L’ensorceleuse au chant mélodieux sévissait de la baie de Saint Cast jusqu’à Plurien. Elle montrait toujours une préférence pour les environs du château de la Roche Goyon. On entendait souvent que, sur une injonction de la nymphe maritime ailée, les gardes tenant à la fois du cancer et du sagittaire avaient volé un trésor dans la légendaire cité engloutie au large de Sables d’Or. Les jours où le chef de ces crabes humains refusait de lui obéir facilement, Alranta folle de rage avait tendance à se venger sur les plagistes. Flottant dans les airs au-dessus des dunes, elle ouvrait sa bouche afin d’exhaler son souffle brûlant sur quelques malchanceux situés dans le périmètre. Cela se produisait parfois selon les uns sur la plage des « Grèves d’en Bas » et selon d’autres à Sables d’Or. Des gaillards s’enflammaient à l'approche de la sirène. Des hommes avaient été consumés par un ardent désir. La demoiselle aimait également s’attaquer à ceux trompant leur épouse. Cette superbe baigneuse adorait les séduire pour ensuite les embrasser et les agripper dans ses griffes afin de les élever jusqu’au ciel avant de les faire sombrer en les relâchant dans la mer.

Cependant il arrivait aussi à notre enchanteresse de récompenser des gens. La sirène-dragon donnait des algues miraculeuses aux personnes portant secours à un gros poisson échoué sur une plage. On disait aussi que cette néréide bretonne avait souvent sauvé des enfants de la noyade. 

Les rugissants de l’Armorique mordaient les gens avec férocité dans les environs du Fort La Latte. Certains pensaient que cela provenait d’une incantation d’Alranta. Elle prononçait la formule magique que voici :

« Oh père, roi du vent et de l’océan,

Viens en aide à ton enfant t’implorant :

J’ai besoin que tu me fasses accourir une bourrasque,

Pour mener une vague hurlant au gré de mes frasques ! »

Plus tard beaucoup continuaient de penser que les tempêtes reflétaient l’humeur du légendaire reptile d’antan et non celle de sa fille. On entendait parfois parler du fantôme d’un véliplanchiste voguant certaines nuits sur les vagues voisines des « Grèves d’en Bas » selon les uns, ou dans la Baie de la Fresnaye selon d’autres. Il s’agissait de l’homme autrefois mort noyé par la demoiselle n’ayant pas supporté d’être quittée par cet amant. Quelques témoins disaient avoir vu des vaisseaux fantômes errant de nuit dans les eaux et les airs du côté du Fort la Latte. De ces véhicules éthérés provenaient d’atroces cris de souffrance et d’effroi émis par les spectres des passagers trépassés dans les flots. La princesse de la mer n’épargnait pas ceux qu’elle ne jugeait pas aptes à devenir le nouveau triton prisonnier dans son château subaquatique.

 Cette sirène dragon devenait plus discrète qu’auparavant mais adorait imiter les conversations des touristes. Si au bord de l’eau un individu entendait une charmante voix lointaine dire « Viens, viens te baigner », Alranta se trouvait sans doute dans les parages ….

Fin

Récit de fiction écrit par Benoit Rêveur en décembre 2018

Si vous aimez ce genre de suites futuristes de légendes, n’hésitez pas à lire mon recueil de 2015 intitulé « Les mémoires du Galaxytime ». (Ce livre est disponible ici https://www.amazon.fr/mémoires-Galaxytime-diverses-galaxies-époques/dp/1517300428/ref=sr_1_1?s=books&ie=UTF8&qid=1547676443&sr=1-1&keywords=Galaxytime   Je remercie les lectrices et lecteurs pour leur clémence concernant ce petit passage d'autopromotion littéraire. 

Concernant la version d’Aloys Schreiber sur la Lorelei, vous pouvez lire une récente traduction française dans l’article blog d’octobre 2018 intitulé « une histoire de la Lorelei ». (article consultable ici http://www.benoitreveur.info/2018/10/une-histoire-de-la-lorelei-traduction-francaise-d-un-recit-germanique.html 

Les articles de septembre et de l’été 2018 sur ce blog ont été consacrés aux légendes classiques du Fort La Latte. (ici http://www.benoitreveur.info/2018/09/d-autres-choses-sur-les-legendes-du-fort-la-latte-2.html   et ici http://www.benoitreveur.info/2018/07/legendes-du-fort-la-latte.html

 

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E
Un flamboyant conte fantastique, épatant ( bien cruelles les créatures féminines ! )
B
Merci pour la lecture et le commentaire, je suis content de voir que ce récit vous plait. Cette créature de fiction possède de multiples facettes qui la rendent certaines fois cruelle et d'autres fois altruiste. Elle est capable du meilleur comme du pire selon son humeur et les situations.