Bienvenu(e)s sur ce blog dédié aux mythes, contes et légendes classiques mais aussi à la fantasy et à la science-fiction (notamment contes de SF et suites futuristes de légendes, dans mon livre "Les mémoires du Galaxytime").
Daphné est une nymphe de la mythologie gréco-romaine. Plusieurs auteurs antiques ont écrit à son sujet. Voici différentes versions et certaines choses sur l’impact culturel de ce mythe.
Palaiphatos
Dans les " histoires incroyables " de Palaiphatos il est écrit que Gaia (la Terre) tomba enceinte du fleuve Ladon. Leur fille fut nommée Daphné. Elle préférait rester chaste et prit donc la fuite afin d’échapper aux avances d’Apollon qui s’était épris d’elle. La jeune fille à bout de souffle demanda à Gaia de la faire retourner dans ses entrailles. De retour dans la Terre, Daphné finit par devenir une plante dont les branches poussèrent. Son prétendant prit la plante qui resta liée à lui, d’où la couronne de lauriers.
Chez Parthénios
Parthénios dans ses « Aventures d’Amour » donne le nom de Daphné à son chapitre XV. Il indique que ce passage serait extrait de Diodore d’Élée dans les élégies et du quinzième livre de Phylarque. Daphné y est présentée comme une demoiselle solitaire, passionnée de chasse et fille d’Amyclas. Elle allait parfois jusque dans les montagnes du Péloponnèse. Cette jeune chasseresse faisait l’objet de l’approbation et du soutien de Diane. Leucippe la vit se promener et s’éprit d’elle. Il décida d’endosser des habits féminins afin de se faire accepter et de pouvoir chasser avec elle. Toutefois ce nouvel ami avait un rival en la personne d’Apollon, lui aussi amoureux de Daphné. Ce dernier, jaloux, imagina une ruse : il donna envie à Daphné d’aller dans l’eau d’une fontaine avec les autres filles. Leucippe ne voulant pas se déshabiller, les filles déchirèrent ses vêtements et découvrirent sa supercherie. Elles cherchèrent à se venger en le perçant de leurs traits. Daphné prit alors la fuite car Apollon, désormais sans concurrent, commençait à se rapprocher. Elle supplia Jupiter de l’enlever du monde des hommes et devint donc laurier.
Chez Hygin
Dans sa fable sur Daphné (avant celle sur Esculape), Il semble expliquer que le fleuve Pénée avait une fille vierge nommée Daphné. Cette dernière fut poursuivie par Apollon. Elle supplia la terre de la transformer en laurier. Apollon s’en couronna la tête.
Chez Ovide
Dans le premier chant des Métamorphoses d’Ovide, peu après l’histoire de Deucalion et Pyhrra on apprend que l’amour premier d’Apollon pour Daphné proviendrait d’une rivalité entre Cupidon/Amour et Apollon. La fameuse nymphe y est présentée comme fille du fleuve Pénée. Par suite d’une discussion trahissant la jalousie du vainqueur de Python, Cupidon atteignit Daphné de sa flèche qui repousse l’amour, puis le dieu ailé toucha Apollon de son autre flèche, celle qui fait aimer. Ainsi épris il pourchassa donc Daphné qui prenait la fuite. Il affirmait ne pas lui vouloir de mal. Ovide explique ensuite que la nymphe suivait l’exemple de Diane, chassant les animaux et fuyant les hommes qui l’aimaient. Cette course-poursuite finit par épuiser Daphné qui supplia son père soit de lui ouvrir la Terre soit de lui faire perdre sa beauté lui attirant un prétendant effroyablement motivé. Pénée sembla avoir écouté la prière de sa fille puisque la nymphe se retrouva alors changée en laurier. Appolon continua toutefois de l’aimer en en faisant son arbre emblématique et un symbole de triomphe. Daphné pencha alors ses branches, donnant ainsi l’impression de manifester de la reconnaissance envers Apollon.
Plutarque
Daphné semble mentionnée dans plusieurs ouvrages de Plutarque : Dans « La vie des hommes illustres » , dans le « dialogue sur l’amour » ,
Pausanias
Le livre de Pausanias intitulé « Description de la Grèce » (dans le chapitre XX du livre VIII, Arcadie) nous relata lui aussi le mythe de Daphné en situant cette nymphe aux sources du fleuve Ladon. Leucippe aimait Daphné mais elle avait de l’aversion pour les hommes. Il utilisa le stratagème suivant : se laisser pousser les cheveux et s’habiller en fille afin de pouvoir s’approcher de son élue. Ses talents en chasse lui permirent d’obtenir l’amitié de celle qu’il convoitait. Apollon, jaloux de Leucippe mit au point une ruse conduisant Daphné et les filles à enlever les vêtements du malheureux dont la masculinité fut bientôt démasquée. Elles décidèrent de le transpercer de leurs flèches et poignards.
Philostrate
Dans l’ouvrage sur la vie d’Apollonius attribué à Philostrate, livre I section 16 il est expliqué qu’Apollon est daphnéen et que Daphné, fille du fleuve Ladon se métamorphosa en laurier dans cette région fluviale à l’endroit même où cette plante est vénérée.
Ausone
Les épigrammes d’Ausone reviennent brièvement sur la course et le dénouement : il y est expliqué que Daphné craindrait et fuirait non pas Apollon lui-même mais plutôt ses flèches, il lui est donc demandé de ranger son carquois.
Autour de ce mythe
J.C Belfiore dans son « Grand dictionnaire de mythologie » (cf biblio) explique que la version avec Leucippe viendrait plutôt du Péloponnèse.
Pierre Grimal, dans son « Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine » (ed.Puf), nous rappelle qu’en grec le terme « daphné » signifie « laurier ». Cette plante est souvent assimilée à l’idée de succès, de gloire. Pline l’ancien dans le livre XV de son Histoire Naturelle nous explique que le laurier est symbole de triomphe mais aussi de trêve, de joie et de victoire. Apulée dans ses métamorphoses semble associer les lauriers à la gloire. Pouchet (cf biblio ci-dessous) mentionne aussi le symbole de réussite et d’événement heureux. Diverses expressions abondent dans ce sens. Le Littré nous indique qu’au pluriel le sens figuré de lauriers est souvent « gloire acquise par les armes, par la poésie » puis fournit quelques locutions, par exemple « s’endormir sur ses lauriers » (signifiant ne point poursuivre une carrière glorieusement commencée), « flétrir ses lauriers » (exprimant l’idée de souiller sa gloire) ou encore « cueillir/moissonner des lauriers » (désignant le fait de remporter des victoires). Le Robert dictionnaire étymologique du français de Jacqueline Picoche explique que « laurier » vient du latin « laurus » et que le mot dérivé « laureatus » (signifiant couronné de lauriers) en provient puis donna naissance au terme français « lauréat ». Cette étymologie est également présentée dans des ouvrages du 19ème siècle : le traité de Pouchet et le dictionnaire universel de matière médicale et de thérapeutique. Le champ sémantique de la réussite paraît donc très présent dans l’étymologie de ce terme.
Dans « la botanique historique et littéraire » (par madame Stéphanie de Genlis, année 1810) il est écrit que les lauriers symbolisent toutes sortes de triomphes mais aussi la clémence en affirmant que l’antique déesse allégorique nommée « Clémence/clementia » est parfois représentée avec une couronne de lauriers. Cette représentation de Clémence se retrouve dans « la mythologie pittoresque » de Joseph Jacques Odolant Desnos. Doit-on y voir une similitude avec la reconnaissance dont Daphné semble avoir fait preuve à la fin de la version relatée par Ovide ? La nymphe devenue plante avait-elle vraiment pardonné la maladroite insistance d’Apollon ?
Michèle Bilimoff, dans son ouvrage intitulé « Enquête sur les plantes magiques » (Editions Ouest France), présente le laurier comme symbole de gloire dédié à Apollon et explique que cette plante est souvent considérée comme prophétique. Elle cite Gubernatis en ces termes : « En Crète d’après l’hymne homérique à Apollon, avant de promulguer les lois, on consultait le laurier prophétique, lequel, aussi bien que du trépied dictait ses oracles à la Pythie ».
Elle explique également que selon un vieil écrit de Fulgentius la plante de laurier permettrait de faire des rêves prémonitoires. Dans son ouvrage Bilimoff écrit également ceci : « Les devins ‘daphnophages’ mangeaient des feuilles de laurier, et l’espèce de torpeur ainsi provoquée favorisait, paraît-il, la voyance. Et la daphnomancie interprétait la combustion de branches de laurier, présage favorable si la flamme était ‘haute et claire’ ».
Le « dictionnaire historique des personnes célèbres de l’antiquité » explique que Daphné était une nymphe métamorphosée en laurier. Ce même ouvrage comporte, quelques lignes plus bas une entrée sur les daphnéphages (avec un « é »). Il y est écrit ceci : « mangeurs de laurier ; devins qui mangeaient des feuilles de cet arbrisseau avant de rendre leurs réponses pour faire croire qu’Apollon les inspirait ». Cette définition est donc très similaire à celle qui avait été donnée dans le « dictionnaire abrégé de la fable ». Deux lignes plus bas (dans le « dictionnaire historique des personnes célèbres de l’antiquité ») on peut y lire ceci : « Dapnéphore, jeune homme d’une famille distinguée qui, dans les daphnéphories, fêtes d’Apollon, portait une branche d’olivier ornée de guirlandes de
laurier ». Cette définition est donc très proche de celle donnée par Diderot et d’Alembert dans leur Encyclopédie. Ce « dictionnaire historique des personnes célèbres de l’antiquité » (cf biblio) présente également le terme « daphnoghetès » signifiant « dont le laurier fait la joie, surnom d’Apollon ». Juste avant l’entrée consacrée à Daphné ce dictionnaire indique les termes daphnéa , daphnéus, daphnitès en précisant qu’il s’agit de surnoms de Diane et d’Apollon et qu’ils signifient laurier.
Concernant la daphnéphagie/daphnophagie et la daphnomancie, d’autres ouvrages les mentionnent. Dans son « traité élémentaire de botanique appliquée » (1835) Félix-Archimède Pouchet écrit : « .. depuis que Daphné avait été métamorphosée en laurier …. Ses rameaux servaient à décorer les temples de ce dieu et à orner le trépied de la Pythie et leur odeur aromatique et pénétrante passait pour engendrer le délire prophétique et la poésie : les anciens les enflammaient pendant les cérémonies de leur culte et si leurs feuilles pétillaient vivement sur les brasiers c’était un heureux présage, mais, au contraire, l’augure était défavorable si leur combustion s’opérait sans bruit. Les prêtres qui consultaient les phénomènes produits par les feuilles du laurier mâchaient quelques fois de celles-ci en rendant leurs oracles, c’était ce qui les avait fait appeler daphnophages. On pensait aussi que ces feuilles influaient sur les songes et que lorsqu’on en garnissait le chevet de son lit elles en procuraient de favorables ».
Le livre III de l’Histoire des plantes (Jacques Dalechamps et Jean Des Moulins,16è-17è siècle) mentionne aussi la daphnomancie et la daphnéphagie en mettant l’accent sur un lien entre Apollon et la divination et ajoute que les muses auraient donné du laurier à manger à Hésiode pour qu’il soit inspiré. Le fait d’associer cette plante à un symbole de prescience se retrouve dans l’Encyclopédie ou dictionnaire raisonné des sciences des arts et des métiers de Diderot et d'Alembert dans laquelle on peut lire sur les activités des daphnophages et des daphnomanciens.
Les « daphnéphages» (ou « daphnophages », l’orthographe variant selon les auteurs) et la daphnomancie sont également évoqués dans d’autres ouvrages anciens (par exemple dans le « dictionnaire de rimes », « la botanique historique et littéraire », « nouveau dictionnaire poétique », « dictionnaire infernal »). Ils n’apportent pas ou peu d’autres informations sur ces sujets que celles contenues dans les sources citées ci-dessus.
Tout cela ne peut-il pas avoir contribué à renforcer la connotation de succès que l’on attribue généralement au laurier ?
Daphné humaine, illustrant l’impossible concrétisation du désir d’Apollon a donc été changée en plante. L’éconduit n’a -t-il finalement pas pu fusionner avec elle d’une manière inattendue via l’attribution symbolique des lauriers ? En quoi cela peut-il présenter des différences et similitudes avec le mythe d’Aréthuse ? (Mon article sur Aréthuse est consultable ici http://www.benoitreveur.info/2017/03/arethuse-mythologies-grecque-et-romaine.html ). Ce thème de la reconnaissance succédant à la peur (précédée de l’aversion postérieure à l’ignorance) constitue-t-il un axe essentiel dans le cheminement de Daphné ? Sa relation avec Leucippe (faite de défiance initiale puis de confiance gagnée et ensuite trahie) est-elle l’exact inverse de sa rencontre avec Apollon ?
Il existe également le mythe antique de Daphnis. Demi dieu berger vivant en Sicile, il fut élevé par les nymphes et serait né dans un bosquet de laurier, d’où son nom (« Daphnis »). Sur ce lien https://www.persee.fr/doc/bude_0004-5527_2005_num_1_1_2180 vous pouvez lire un texte intitulé « Daphnis et Daphné mythe et poésie dans l’idylle I de Théocrite » (par Christine Kossaifi, dans le bulletin de l’association Guillaume Budé).
Des symboles furent abordés dans « La fable de Daphné, essai sur un type de métamorphose végétale dans la littérature et dans les arts jusqu’à la fin du XVIIe siècle » par Yves Giraud, 1969, librairie Droz, Genève.
Il y aurait sans doute d’autres choses à mentionner sur le mythe de Daphné mais voilà l’état actuel de mes recherches sur le sujet.
L’illustration ci-dessous est intitulée « Apollon et Daphné », par Francesco Albani, vers 1615-1620. Dans le coin en haut à droite on peut y voir Cupidon avec ses ailes et son arc.
Article écrit par Benoit Rêveur, 2018
Bibliographie
«Grand dictionnaire de la mythologie grecque et romaine « , JC belfiore, ed Larousse
« Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine » P. Grimal (ed.Puf),
« Enquête sur les plantes magiques » par Michèle Bilimoff (éditions Ouest France)
« Le Robert, dictionnaire étymologique du français » par Jaqueline Picoche, collection « les usuels du Robert ».
Dictionnaire Littré, E. Littré, BNF
« Traité élémentaire de botanique appliquée « (1835) Félix-Archimède Pouchet
« Dictionnaire universel de matière médicale et de thérapeutique générale » François-Victor Mérat de Vaumartoise, circa 1832
« Mythologie pittoresque « Joseph Jacques Odolant Desnos circa 1839
« Dictionnaire historique des personnes célèbres de l’antiquité » par François Joseph Michel Noel, année 1806
« Dictionnaire abrégé de la fable » M. Chompré , 1775
« La botanique historique et littéraire » (par Caroline-Stéphanie-Félicité du Crest Genlis, année 1810)
« Encyclopédie ou dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers » par Diderot et D’Alembert, vers 1751-1772
« Histoire des plantes » (Jacques Dalechamps puis Jean Des Moulins, 16ème puis 17ème siècle).
Pline l’Ancien, Histoire Naturelle
Palaiphatos « histoires incroyables » (traduction française d’Ugo Bratelli)
Apulée, métamorphoses (trad fr par V. Bétolaud)
Parthénios : « Aventures d’Amour », traduction française de M. Villemain.
Ovide : les Métamorphoses, traduction française de G.T Villenave.
Gaius Julius Hyginus Fabulae (Fables d’Hygin)
Pausanias : « Description de la Grèce » (trad et notes : Clavier et Gedoyn)
Philostrate, Apollonius de Tyane, trad française par A. Chassang
Ausone, épigrammes (trad française de Corpet)
Liens utiles regorgeant de sources antiques :