Bienvenu(e)s sur ce blog dédié aux mythes, contes et légendes classiques mais aussi à la fantasy et à la science-fiction (notamment contes de SF et suites futuristes de légendes, dans mon livre "Les mémoires du Galaxytime").
Il semblerait que la toute première traduction française de ce conte des frères Grimm soit relativement récente. L’an passé j’ai écrit ma propre retranscription française ici http://benoitreveur.over-blog.com/article-les-4-freres-habiles-94188210.html .Il existe de nombreux axes de lecture dans ce conte intitulé « les 4 frères habiles ».
1° Dimension initiatique
Ce conte me semble clairement illustrer le cheminement initiatique des 4 frères.
Ils doivent quitter le giron paternel afin de trouver leur vocation. Au départ chacun ignore complètement ce pour quoi il est fait, quelques surprises sont donc au rendez-vous et les invitent à revoir leur copie, leurs attentes et préjugés de départ se voyant vite remis en cause.
Une fois la cruciale décision prise et leur voie choisie, l’apprentissage peut commencer. Leurs chemins se séparent et se rejoignent à la fois au carrefour.
En termes d’étapes d’apprentissage dans les traditions d’artisanat : on voit dans le récit les diverses étapes que suivent les 4 frères : leur père les a aidés à devenir des apprentis, puis leurs maîtres de métier leur ont montré le chemin pour qu’ils deviennent des compagnons (chose qui semble confirmée par leur père quand il teste leurs talents), enfin le verdict final du roi semble confirmer qu’ils sont à la fin devenus éligibles au rang de maîtres.
Parmi les étapes initiatiques lors de leurs aventures, je note particulièrement :
A)leur détachement au père quand le besoin s’en fait sentir, leur prise d’autonomie sans pour autant détruire ou renier la figure du père puisque parfois ils reviennent vers lui, une sorte de processus progressif d’assimilation et de maturation, ils apprennent à se détacher d’un modèle sans pour autant le renier.
B) l’épisode clé de la princesse et du dragon : figure classique symbolisant évidemment la perte de virginité ( par exemple le voleur pénètre sous le corps du dragon) la princesse symbolisant bien entendu leur maturation amoureuse, mais aussi leur lutte pour apprendre à canaliser leurs pulsions intérieures diverses (symbolisées par le dragon). On notera que cet épisode de la femme à délivrer sur le rocher gardé par le dragon dormant ressemble beaucoup au même passage du conte provençal « tribord amure » récemment publié sur le blog…(archétype récurrent dans de nombreux contes)
C) leur acceptation de la décision du roi, qui les surprend mais qu’ils trouvent juste, cela semble leur apprendre à connaître et accepter leurs limites, mais aussi leur apprend à savoir renoncer : cette forme de dépouillement de leur ego me semble cruciale dans le parcours initiatique des 4 frères.
2 Outils et symboles
Parmi les objets rencontrés dans le récit, il me semble s’y trouver d’évidents symboles phalliques (le bâton, l’aiguille qui transperce, le fusil/pistolet/canon et la longue vue). On sait que dans les histoires de dragon, l’épée revêt souvent une forte connotation phallique, ici c’est un fusil/canon pistolet qui vient remplacer la classique épée du chevalier. On notera d’ailleurs que ce canon est le seul cas où l’on voit « cracher » du feu dans le récit, malgré la présence du dragon. Le bâton (servant aussi sans doute de baluchon dans leur départ en voyage) sert autant à la défense qu’à l’entraide (sauver quelqu’un de la noyade, effectuer divers travaux, aider à la marche pedestre, etc..) , selon certains, le bâton symboliserait aussi la sobriété , l’humilité.
3 Importance des chiffres
les frères sont 4 , leurs maîtres artisan sont 4 , les routes au carrefour sont au nombre de 4, inutile de rappeler l’importance symbolique du chiffre quatre dans la culture judéo-chrétienne.
Ensuite, les personnages humains au contact desquels les 4 frères seront confrontés sont au nombre de 7 (les 4 maîtres, le pere, la fille du roi et le roi) il reste aussi inutile de souligner à nouveau , tant c’est évident, l’importante signification du chiffre 7 dans la culture occidentale.
On notera aussi que les œufs à toucher avec le fusil sont au nombre de cinq : les quatre coins de la table (les quatre frères ) réunis par l oeuf central (la figure du père).
4 Relativité des métiers
Chaque métier comporte ses qualités et défauts , dans les préjugés de départ des frères futurs apprentis qui apprennent au cours du récit à revoir leurs préjugés (« il n’y a point de sot métier ») mais surtout à saisir l’utilité que chaque activité peut avoir par rapport aux autres activités et son utilité pour aider autrui. Aucun métier ne se révèle supérieur aux autres, au contraire chacun a besoin des autres, le récit illustre à merveille cette idée.
Entraide contre ambition personnelle
Leurs compétences propres à chacun deviennent vite non plus un outil de réussite et ambition personnelle , mais sont au contraire mises au service de tous, l’épisode du dragon leur permet enfin de faire leurs preuves sans pour autant faire un tour d’esbrouffe qui aurait uniquement servi leur orgueil. (cette forme là de dépouillement de leur égo peut sans doute aussi faire partie de leur cheminement initiatique). L’épisode du dragon les met en compétition, mais tant lors de leur aventure que lors de l’entente du verdict du roi, ils comprennent qu’il leur est préférable d’être unis, de travailler en émulation plutôt qu’en compétition. Le mérite de chacun n’est toutefois jamais nié.
L’outil et la technique
Trois des frères possèdent un outil magique leur permettant d’accomplir leurs exploits (la longue vue, le fusil et l aiguille). Le frère aîné quand à lui ne possède aucun outil et exerce son métier avec talent : une probable façon de montrer que la maturité dans le métier , quel qu’il soit, est de faire preuve d’un talent personnel n’ayant plus besoin d’outil et de technique ? Le personnage du frère voleur me semble particulièrement intéressant : aîné de la fratrie, il semble plus autonome que les autres frères, il a dès le départ ses « ides arrêtées » sur lesquelles il sera très vite amené à revenir. Il est voleur de métier, mais n’utilise à aucun moment du récit ses talents pour faire le mal, au contraire c’est toujours pour venir en aide à quelqu’un (sauf le passage du test, qui pour sa part constitue une sorte d’intermède et ne sert qu’à confirmer leur sentiment de valeur personnelle bien avant l’étape finale de leur apprentissage de la modestie et de l’acceptation). Le plus jeune frère en revanche me paraît représenter son « pendant » non moins intéressant : plus jeune, plus naîf, il semble donc particulièrement enthousiaste et ouvert d’esprit. De plus son apprentissage souligne l’importance des bases dans un travail , y compris pour un artisan expert : dans son entretien d’embauche avec son futur maître il y est souligné également l’importance de la méthode d‘apprentissage soulevant ainsi une intéressante question sous-jacente : le problème est il de choisir le bon métier ou la bonne méthode d’apprentissage ?
Influence chez Tolkien ?
J’ignore si Tolkien s’est ou non inspiré de ce conte pour mettre en texte certains éléments de sa nouvelle intitulée « le fermier Gilles de Ham ». J’y vois toutefois certains points communs ou ressemblants : la présence d’un dragon, l’arme à feu des frères Grimm devient l’ »espingole » chez Tolkien, les deux récits soulèvent une certaine réflexion sur le mérite dans l’héroïsme. (Les calembours philologiques de Tolkien ne sont pourtant pas les mêmes que ceux germanophones des frères Grimm).
Bien entendu une certaine marge d’erreur est très possible dans tout ce qui vient d’être écrit ici….