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Bienvenu(e)s sur ce blog dédié aux mythes, contes et légendes classiques mais aussi à la fantasy et à la science-fiction (notamment contes de SF et suites futuristes de légendes, dans mon livre "Les mémoires du Galaxytime").

Dragon de Villedieu : une nouvelle hydre de Lerne ?

 

La légende du dragon de Villedieu paraît liée à l’épisode mythologique opposant Hercule/Héraklès à l’hydre de Lerne. Quelles similitudes peuvent exister ? Ces deux récits ayant été traités indépendamment dans de précédents articles du blog (liens ci-dessous) ils seront donc simplement récapitulés de manière brève avant de passer à la recherche de leurs points communs et différences.

Un serpent légendaire

Concernant le dragon de Villedieu (un vieil article ici http://www.benoitreveur.info/article-legende-normande-le-dragon-de-villedieu-86388873.html  ) il existe plusieurs versions. On pourrait résumer cette histoire légendaire comme ceci :

Dans la version de Féré (in « Légendes et traditions de la Normandie », Octave Féré, circa 1845), un crime venait d’être commis à Villedieu- les-Bailleul (commune normande autrefois nommée « Villedieu-les-roches »). Il ajoute que, selon un devin, un être maîtrisant la magie aurait donc envoyé un dragon afin de punir ce crime.

Dans les versions de Bosquet et de Féré le monstre cracheur de feu semblait rançonner les gens et semait la terreur et la désolation. Le seigneur de Bailleul prit son cheval et revêtit son armure afin de rencontrer le reptile.  Finalement la créature et le chevalier périrent tous deux lors du combat. Le village de Villedieu était sauvé. La version d’Amélie Bosquet (dans « La Normandie romanesque et merveilleuse », circa 1845) indique que la ruse fut d’abord envisagée pour vaincre ce saurien décrit comme une hydre : dans le récipient à lait qui servait de tribut quotidien ou hebdomadaire à ce dragon quelqu’un eut l’idée de mettre de l’eau-de-vie afin de rendre le monstre ivre et donc plus facile à vaincre en combat. Le texte semble écrire « à la place du lait » mais je suppose que l’eau-de-vie devait être ajoutée mélangée au lait : un dragon se serait sans doute méfié et n’aurait pas bu si le récipient avait contenu uniquement de l’alcool. La version d’Octave Féré semble elle aussi décrire une sorte d’hydre.

Un monstre mythique

Au sujet de l’hydre de Lerne un article avait été publié sur le blog (ici http://www.benoitreveur.info/article-hercule-et-l-hydre-de-lerne-124401109.html  ) il y a quelques années.

Ce deuxième des douze travaux d’Hercule/Heraklès consistait à vaincre l’hydre qui semait la terreur dans le marais de Lerne. La difficulté fut la suivante : chaque fois qu’une tête du monstre était coupée, deux autres poussaient aussitôt afin de la remplacer. Un précieux allié et la cautérisation permirent au héros mythologique de venir à bout de la terrifiante bête.
 

Une légende ressemblant au mythe

Dans « la Normandie romanesque et merveilleuse » (circa 1845) un des textes d’Amélie Bosquet (mentionnant notamment Galeron) est intitulé « Le serpent de Villedieu-les-roches ». Dans cette version le marais de Lerne est remplacé par une campagne rocheuse décrite comme portant des traces de vieille éruption volcanique.  Après avoir mentionné un Codrille ayant pu donner naissance au reptile, elle indique que cette supposée éruption aurait été symbolisée par le dragon local.  Les faits légendaires auraient eu lieu vers le milieu du quinzième siècle. Le marais de Lerne, élément naturel avec ses eaux inquiétantes et tentaculaires semble avoir été représenté par le caractère tentaculaire de l’hydre du mythe antique. Les torrents de lave coulant sur le territoire de Villedieu-les–roches peuvent remplir la même fonction symbolique sous la plume de cette auteure (Amélie Bosquet) qui, sauf erreur de ma part, était rouennaise et proche de Flaubert. Elle explique en effet que cette légende pourrait évoquer les ravages d’une éruption volcanique. Comme expliqué dans l’article mis en lien ci-dessus cette hydre mythologique personnifie, selon Catherine Salles, le travail d’assèchement du marais. J’imagine que cette créature aux ramifications multiples peut probablement aussi représenter les possibles dégâts de l’eau lors des inondations. Bien entendu la forme du terme « hydre » peut également faire penser à l’eau, à l’élément hydrique.

Selon Bosquet, le dragon vivait à Villedieu dans une caverne supposée avoir des murs de diamant et d’or. Elle décrit ensuite le monstre en ces termes « une hydre à plusieurs têtes ». L’aspect physique des deux créatures (celle de Lerne et celle de Villedieu) est donc le même.

Amélie Bosquet poursuit en indiquant que le seigneur de Bailleul, détesté et redouté pour sa dureté, perdit son neveu qui fut tué par le dragon. Le baron voulut donc aller pourfendre ce monstre (afin de venger son neveu et sans doute aussi afin de sauver son fief sur lequel le saurien semait la terreur). Dans les deux cas il semble exister une volonté de se racheter une conduite en choisissant d’aller se confronter à l’épreuve du combat contre le reptile : afin d’expier une faute Hercule met sa vie en jeu en relevant le défi des douze travaux et le baron/chevalier de Bailleul meurt brûlé en combattant le dragon. Les motivations de ces combats face aux deux monstres reptiliens (de Lerne et de Villedieu) semblent donc très similaires.

La rencontre avec le monstre

Une fois décidé à aller affronter le dragon (après avoir enivré le reptile en lui faisant boire de l’eau-de-vie), le sire de Bailleul est désigné par Bosquet en ces termes : « Nouvel Hercule, il endosse son armure, plus solide qu’une peau de lion, sa longue épée dans sa main vaut une massue ». L’allusion à Hercule/Héraklès est très claire. On pourrait toutefois être surpris de lire que l’armure est décrite comme « plus solide qu’une peau de lion » : la peau du lion de Némée, connue pour sa très grande résistance servait à la fois de vêtement et de cuirasse à Hercule (seules les griffes du lion de Némée avaient permis au héros mythologique de découper la peau du fauve). Il reste ici loisible de supposer que l’épée de l’un et la massue de l’autre remplissent la même fonction.

En décrivant la suite du combat, Bosquet continue de faire allusion à Hercule, cette fois sous forme de jeu de mots (Hercule/est-recule), quand elle écrit « … il aveugle son ennemi par les vomissements de flamme qu’il lui lance au visage, et le baron de Bailleul, tout intrépide qu’il EST, RECULE épouvanté ».

Elle mentionne ensuite un déluge formé de roches faisant office de projectiles et « une lave ruisselante envahit le lac ». Cette description d’un combat évoluant en cataclysme à Villedieu peut évidemment faire penser à l’aspect aquatique du marais de Lerne et au caractère tentaculaire des deux monstres. Le lendemain les vassaux retrouvent le seigneur de Bailleul mort calciné dans son armure, le dragon semble avoir disparu. On peut donc supposer que dans cette version le reptile a été vaincu par le défunt chevalier de Bailleul.

Une histoire de variante

De plus Bosquet relate ensuite la version de Galeron selon laquelle le sire de Bailleul porta un coup mortel au dragon qui dans son agonie envoya un jet de flammes sur le chevalier et la monture qui périrent ainsi brûlés.  Elle écrit en effet : « son cheval, dans son effroi, étant venu à se retourner, les crins de sa queue, que l’on n’avait point mis à l’abri sous l’armure, comme tout le reste du corps, s’enflammèrent en un instant, et l’animal ainsi que celui qu’il portait furent consumés entièrement ».

Le texte de Galeron fut également mentionné par Arcisse Caumont dans la « revue normande » de septembre 1830. Caumont y explique que Galeron mentionne une caverne servant de repaire au dragon de Villedieu.

Hercule/Héraklès survécut après avoir vaincu l’hydre de Lerne mais il mourut consumé d’une certaine manière par la jalousie de Déjanire (cf le différend qui opposa  Héraklès au centaure Nessus). Dans certaines versions Héraklès périt en étant en quelque sorte enflammé par ses envies de vengeance. (Le dictionnaire de mythologie de Belfiore détaille les diverses versions).

Le baron/chevalier de Bailleul, au moment de son trépas, n’était-il pas comme dévoré par les flammes de sa colère vengeresse ?

L’hydre de Lerne et celle de Villedieu ont-elles en commun le fait d’avoir une tête principale et la capacité à revenir un jour après un combat mortel ? Le thème de l’éruption volcanique est évoqué deux fois chez Bosquet, en début de récit et à la fin du combat, un peu comme si l’hydre métaphorique finissait par revenir.  

On ne sait pas quel est le mystère de la caverne du dragon de Villedieu : selon la légende un trésor s’y trouverait.

Il y a toutefois dans le dragon de Villedieu d’autres thèmes semblant n’avoir aucun rapport avec le mythologique héros bodybuildé portant une peau de lion : par exemple Bosquet finit de relater la version de Galeron en expliquant que selon ce dernier les blocs rocheux du champ de Villedieu pourraient être des dolmens et constituer des vestiges d’un vieux culte de Teutatès, le combat contre le dragon symboliserait alors l’émergence du christianisme sur le paganisme.

Dans cette légende normande on remarque aussi l’absence de Carcinos : ce crustacé (visible en bas dans l’illustration ci-dessous) joua cependant un rôle important dans l’épisode mythologique de l’hydre de Lerne.

Et après ?

Et si un jour le dragon de Villedieu revenait ? Dans une époque future, les habitants de la Terre doivent payer un impôt pour avoir le droit de respirer. Attirés par la perspective de trouver un trésor, des gens tentent de profaner l’entrée de la grotte du légendaire dragon de Villedieu. Le reptile revient donc semer la désolation dans la contrée. Que se passera-t-il ? Des robots transformables en engins de combat sont envoyés pour combattre cette hydre, à moins que ces machines cuirassées soient en fait une vieille armure d’autrefois portant des traces de brûlures …

Tel est le synopsis de « La vengeance du dragon de Villedieu ». il s’agit du récit par lequel débute mon recueil de 2015 intitulé « Les mémoires du Galaxytime » (Cet ouvrage contient d’autres suites futuristes de légendes et est disponible ici   https://www.amazon.fr/mémoires-Galaxytime-diverses-galaxies-époques-ebook/dp/B00WY71VC8          Merci pour votre indulgence concernant ce bref moment d’autopromotion littéraire).

Enfin au sujet du thème de cette créature, l’hydre médiévale (ou enhydre) semble symboliser un être revenu du monde des morts ou des profondeurs des enfers, un être probablement immortel comme Dieu et le Christ selon les bestiaires médiévaux de Pierre de Beauvais, de Philippe de Thaon qui paraissent fondés sur le livre Physiologos. Les thèmes et les termes de l’enhydre et de l’hydre semblent avoir traversé les époques même si l’apparence physique de la créature peut varier selon les auteurs et les périodes. Le texte du Physiologos traduit et commenté par Zucker fournit d’intéressantes explications à ces sujets. C’est évoqué dans mon article sur l’hydre de Lerne mis en lien ci-dessus.

Bien entendu cet article n’est sans doute pas dépourvu d’erreurs ou approximations et Il resterait d’autres choses à dire, mais voilà pour le moment.

Article écrit par Benoit Rêveur, décembre 2019

Bibliographie

 « Les principaux monuments druidiques du département de l’Orne » Galeron

 Arcisse Caumont, in « Revue normande » (deuxième partie) septembre 1830

 « La Normandie romanesque et merveilleuse » Amélie Bosquet circa 1845 (consultable ici https://www.france-pittoresque.com/spip.php?article1995   )

« Légendes et traditions de la Normandie » Octave Feré, circa 1845 (consultable ici http://la.piterne.free.fr/textes/b062.html    )

Physiologos (Traduction française et commentaire par Arnaud Zucker)

« Grand dictionnaire de la mythologie grecque et romaine » Jean-claude Belfiore, ED.Larousse

« La mythologie grecque et romaine » Catherine Salles, Fayard/Pluriel, 2013

Ci-dessous Hercule contre l'hydre de Lerne, source image Getty

 

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