Bienvenu(e)s sur ce blog dédié aux mythes, contes et légendes classiques mais aussi à la fantasy et à la science-fiction (notamment contes de SF et suites futuristes de légendes, dans mon livre "Les mémoires du Galaxytime").
~~Il s’agirait d’une légende du Latium et d’Etrurie. Connue en tant que nymphe divinité des sources, Egérie (Lat.Egeria, ae, f) reste souvent liée à la Diane sylvestre. Parmi les auteurs antiques ayant parlé de cette nymphe, on peut citer notamment Ovide, Strabon, Plutarque, Virgile et Tite Live. Cet article ci-dessous vous propose les grandes lignes du mythe avant d’aborder ses symboles.
Généralités :
Le dictionnaire de mythologie grecque et romaine de Grimal nous rappelle qu’Egérie aurait vécu près du Mont Caelius à Rome (très exactement porte Capène, avec une source où les vestales viennent prendre l’eau). Grimal explique qu’Egérie est certaines fois présentée comme l’amante, d’autres fois comme l’amie de Numa Pompilius (cette supposée différence me semble provenir de la comparaison entre les versions de Tite-Live et d’Ovide). Le chant 15 des métamorphoses d’Ovide précise que Numa serait devenu souverain à la demande du peuple. L’image la plus commune demeure celle d’Egérie présentée comme épouse de ce monarque. Leurs entrevues se passaient la nuit. Elle inspira le sage roi dans sa manière de gérer efficacement Rome de manière pacifique. Selon Plutarque il semblerait que Numa fréquentait à la fois Egérie et les muses. Tite-Live (livre I) et Plutarque expliquent que Numa était Sabin et venait de Cures. Erudit et bienveillant, ce souverain transmit son avoir aux gens du peuple, il tenait sa science de la nymphe, à la fois épouse et conseillère. L’ouvrage intitulé « les plus belles histoires de la mythologie » (ed Nathan) nous rappelle que Numa avait mis en place un calendrier divisé en douze mois et avait consacré des périodes à chaque dieu. Plutarque nous apprend que ce roi sage fonda le collège des pontifes et aurait instauré des vestales. Il fonda aussi le collège religieux des flamines. Rome devint donc un lieu de culte tellement respecté que nul ne tenta alors d’attaquer la ville. Dans « les fastes » Ovide nous apprend que les entretiens entre Numa et égérie avaient lieu dans le bois de la vallée d’Aricie et au bord du lac de Diane. Cet ouvrage (les fastes) mentionne également les conseils qu’Egérie prodigua à Numa. Il semble s’agir d’une prévalence de la loi, de l’éthique sur la force, au point que le sage roi parvint à adoucir les meurtriers. La nymphe lui expliqua aussi comment conjurer la foudre : en capturant Picus et Faunus (elle lui donna également des indications sur la bonne façon de les attraper : dans un bois au pied du mont Aventin, Numa se cacha dans une caverne et appâta Faunus et Picus avec du vin). Chez Plutarque aussi il semble qu’égérie ait suggéré à Numa un stratagème pour capturer Faunus et Picus (qui y sont décrits comme équivalents de Pan et des satyres). Les fastes d’Ovide nous content que ces deux dieux (Faune et Picus) suggérèrent au pacifique roi d’aller rencontrer Jupiter. Une fois la révélation divine obtenue, un bouclier nommé Ancile tomba du ciel. Tout cela renforça la crédibilité du souverain sage et l’admiration dont il faisait l’objet au sein du peuple. Egérie fut donc considérée comme inspiratrice divine du chant de la fête des anciles. Chez Plutarque il s’agirait d’un bouclier rond d‘airain. Les muses auraient expliqué à Numa comment utiliser les pouvoirs de cet objet tombé du ciel. Befliore nous rappelle qu’Egérie était vénérée dans le bois d’Aricie par les femmes enceintes. Numa Pompilius allait voir sa conseillère dans sa grotte. Selon Tite live les camènes assistaient à ces entrevues dans leur bois Dans les métamorphoses d’Ovide il est écrit qu’après le trépas du sage roi, Egérie était inconsolable. Les nymphes ne parvinrent pas à apaiser son chagrin. Elle rencontra ensuite Virbius/Hyppolyte (fils de Thésée) qui tenta en vain de la consoler en lui (ra)contant sa mésaventure : accusé à tort d’avoir voulu souiller le lit de son père, Hyppolyte fut chassé d’Athènes. En route sur le rivage de Corinthe, il croisa un gigantesque taureau sorti d’une immense vague. Hyppolite fut détruit, les os brisés, les membres en lambeaux. Diane reconstitua son corps, changea son âge et son apparence et il adopta le nom de VIrbius. Mais cela ne changea rien à la peine ressentie par la nymphe. La veuve pleura tellement dans le bois d’Aricie que Diane d’Oreste, perturbée dans son culte et touchée par les sanglots de la veuve, transforma la nymphe éplorée en une fontaine intarissable. Cet endroit devint un lieu de pèlerinage. L’Enéide de Virgile (dans son livre 7) nous conte aussi cette histoire : Hyppolite face au monstre marin, Hyppolite massacré puis trouvé et sauvé par Diane ; une fois rebaptisé Virbius, Egérie veille sur lui dans le bois d’Aricie. Les fastes d’Ovide indiquent que dans cette forêt se trouverait un temple de Diane et qu’Egérie serait un ruisseau de sagesse situé dans les environs. En termes de pouvoir politique, le successeur de Numa fut Tullus Hostilius. Belliqueux, il était l’opposé du sage Numa. Selon la géographie de Strabon, la source d’Egérie se situerait non loin du moulin de Nemi. Selon Tite Live Numa aurait régné 43 ans. Les sources documentaires sur ces généralités figurent dans la partie « bibliographie » en fin d’article.
Symboles et dimension linguistique.
Belfiore nous rappelle que le terme « égérie est utilisé pour désigner les conseillères et inspiratrices des hommes ayant un pouvoir politique. Le dictionnaire Gaffiot explique que verbe latin egerere signifie au sens figuré : épancher, répandre, exhaler, rendre l’âme mais aussi .. rapporter (rédiger) des entretiens. De nos jours on nomme égérie une femme servant de modèle pour la promotion des marques de mode. Dans le « dictionnaire de mythologie et de symbolique romaine « (par Robert-Jacques Thibaud) il est écrit qu’Egérie était nymphe du peuplier noir, à savoir prêtresse de Proserpine. On y apprend aussi qu’elle serait liée aux peupliers bordant le fleuve Mémoire dans le royaume des morts gouverné par Pluton. De rares personnes pouvaient boire son eau, source de savoir. Dans « la mythologie, ses dieux, ses héros, ses symboles », Edith Hamilton explique que les camènes (dont égérie faisait partie) protégeaient sources et puits, soignaient les gens et avaient des pouvoirs de divination. L’ouvrage d’Hamilton et celui de J. Schmidt expliquent que les camènes furent assimilées aux muses lors de l’incorporation des cultes grecs dans la culture romaine. Parmi les camènes on trouve également Carmenta. Elle aussi avait le pouvoir de veiller au bon déroulement des grossesses. Egérie, inconsolable après le décès de Numa, est souvent présentée comme un exemple de fidélité au-delà de la mort. Ce serait dans le but de récompenser cette fidélité à toute épreuve et afin d’apaiser le chagrin de la nymphe veuve que Diane la changea en source. Dans une version de Plutarque, traduite et commentée par Dacier (« la vie des hommes illustres de Plutarque, traduite en François avec des remarques historiques et critiques »), il est rappelé que Lactance de Firmien et Tite Live pensaient que Numa feignit d’avoir des relations avec égérie (et se retirait en fait seul dans la grotte), afin de pratiquer tranquillement l’hydromancie en secret. Je suppose qu’un tel stratagème aurait permis aussi d’asseoir sa légitimité auprès du peuple : une image d’origine divine inspirait le respect au sein du peuple. Le Livre I de Tite live paraît suggérer l’idée selon laquelle Numa serait en fait un autodidacte. Tite live réfute l’hypothèse selon laquelle Pythagore de Samos aurait été le maitre de Numa (ils ne vivaient pas à la même époque et même s’ils avaient été contemporains, une rencontre entre les deux hommes aurait été très peu probable). Il semble que chez Plutarque les histoires liant Numa à des divinités sont considérées comme des fables ridicules. Concernant l’inspiration divine d’Egérie à Numa , il semble ressortir de Plutarque ce qui suit : « Il est naturel, j’en conviens, de croire que Dieu, qui aime non les chevaux ni les oiseaux, mais les hommes, se communique volontiers à ceux qui excellent en vertu, et qu’il ne dédaigne pas de converser avec un homme religieux et saint ; mais qu’un dieu, un être divin s’unisse à un corps mortel, et qu’il soit épris de sa beauté, c’est ce qui est difficile à croire. Les Égyptiens cependant font à ce sujet une distinction assez spécieuse : ils disent qu’il n’est pas impossible que l’esprit d’un dieu s’approche d’une femme, et qu’il lui communique des principes de fécondation, mais qu’un homme ne peut jamais avoir aucun commerce, aucune union corporelle avec une divinité. Mais c’est ne pas tenir compte du principe, Que ce qui s’unit à une substance lui transmet une partie de son être, comme il reçoit lui-même une portion de cette substance. Il n’en est pas moins vrai que les dieux ont de l’amitié pour les hommes : c’est de cette amitié que naît en eux ce qu’on appelle amour, et qui n’est, de leur part, qu’un soin plus particulier de former les mœurs de ceux qu’ils affectionnent, et de les rendre plus ver- 144 tueux. » (soure extrait http://remacle.org/bloodwolf/historiens/Plutarque/numapierron.htm ) Il y a visiblement divers niveaux de lecture dans ce passage.
Interprétations personnelles (NB ; ce qui suit sont mes impressions personnelles, à chacun d’avoir son propre avis sur la question) : Tite Live affirme que Numa avait fait construire un temple de Janus, dédié à la fois à la paix et à la guerre, afin d’adoucir les instincts belliqueux. Les humains devant évidemment composer avec leur agressivité naturelle, cette subtilité de Numa (canaliser l’agressivité plutôt que la réprimer) à des fins pacifiques, est-elle à rapprocher de l’idée contenue dans le fameux « SI vis pacem para bellum » ? ("Si tu veux la paix prépare la guerre ») Une approche éthique et pratique de la paix et de la résolution des conflits me semble plus viable et plus efficace qu’une approche dogmatique de la paix : l’agressivité naturelle revenant tôt ou tard au galop si on la réprime, si on impose des principes pacifiques au lieu de les proposer en douceur. Dans ce but Numa sut donc utiliser finement la dualité de Janus afin d’adoucir un peuple qui au départ était très porté sur la guerre. ( Un de mes articles de 2009 sur Janus se trouve ici http://www.benoitreveur.info/article-31330930.html ) Ce culte de Janus pouvait servir de fil conducteur dans cette transition de l’agressivité naturelle de la guerre vers un usage pacifique de cette même agressivité naturelle, sans trop bousculer les repères des gens du peuple. Egérie donna l’inspiration politique et religieuse à la stratégie du règne de Numa. Les muses mythologiques, elles en revanche sont plutôt du ressort de l’inspiration artistique. Les métamorphoses d’Ovide écrivent que Numa apprit l’art de la paix au contact de cette nymphe ; Ce champ sémantique de l’« art » peut venir réunir les muses et Egérie, renforçant ainsi l’assimilation entre la veuve nymphe et les muses. Dans le tandem Egérie/Numa, la dimension sexuelle et sentimentale entre l’inspiratrice et l’inspiré semble analogue à celle liant Pygmalion à Galatée, ou encore similaire à la connotation concernant les muses. Il revient à chacun(e) de voir le degré de similitude et de différence. Le caractère nocturne des rencontres entre Numa et Egérie peut renforcer cette touche libidinale (tout comme la « force créatrice » de l’inspiré peut être assimilée à une manifestation de la libido). L’aspect « morbide » de la fin du mythe d’Egérie après la mort de Numa peut-il s’illustrer par les relations entre Egérie et le royaume de Pluton ? Dans quelle mesure ? La conseillère Egérie semble représenter une source intarissable de savoir et de bon sens. Est-ce pour cela que la nymphe fut changée en source aqueuse ? Si l’on considère les explications et sous-entendus de Tite-live, Egérie était-elle en fait une image symbolisant les facultés d’adaptation et d’observation permettant à Numa la résolution de conflits/tensions et la subtile mise en place d’un règne pacifique et prospère ?
Il y aurait évidemment d’autres choses à dire sur Numa, cet article l’aborde uniquement sous l’angle de sa relation à Egérie.
Bibliographie : - « Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine « Pierre Grimal , ed PUF - « Dictionnaire de mythologie et de symbolique romaine » (par R.J Thibaud) - « Dictionnaire Larousse de mythologie grecque et romaine » ( par J.Schmidt). - « Grand dictionnaire de la mythologie grecque et romaine » (par JC Belfiore) - « les plus belles histoires de la mythologie romaine » (Fernand Nathan) - Ovide : les fastes - Ovide : les métamorphoses - Tite-live - Strabon - Plutarque (sur Numa) - Virgile : l’Enéide - Dictionnaire latin-français Gaffiot Tableau de la nymphe égérie par Claude (le) Lorrain source image : https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89g%C3%A9rie#/media/File:Claude_Lorrain_005.jpg