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Bienvenu(e)s sur ce blog dédié aux mythes, contes et légendes classiques mais aussi à la fantasy et à la science-fiction (notamment contes de SF et suites futuristes de légendes, dans mon livre "Les mémoires du Galaxytime").

Investigation sur le "lac des damnés"

 

 

Investigation sur le lac des damnés

Les légendes de village englouti se retrouvent dans bien des régions. On pourrait trouver ces histoires interchangeables tellement le sujet peut sembler bateau. Mais ces similitudes sont trompeuses.    Il y a presque 3 ans, j’avais écrit un fil de trois articles sur les « villages engloutis » d’eau douce. Je l’ai supprimé  du blog car depuis mon avis a changé.

Je vous propose dans ce texte mon enquête perso sur le « lac des damnés », situé en Normandie près de Flers.

LE LAC DE FLERS

Voici d’abord une version de cette légende :

« Près de la ville de Flers se trouve un bois dans lequel est renfermé un étang, ou plutôt un petit lac. Ce lieu est silencieux et isolé, et le mirage des grands arbres estompe la surface du lac de teintes si sombres qu’on se prend à rêver de quelque effrayant mystère qui se cache, comme un limon impur, au fond de ces eaux dormantes.

Il y a beaucoup, beaucoup d’années, dit la tradition, existait, sur cet emplacement, un couvent, fondé par un pécheur repentant, en expiation de ses péchés. Durant les premiers temps de la fondation, les moines menèrent si sainte vie que les habitants de la contrée environnante accouraient en foule, pour être édifiés de leurs pieux exemples et de leurs touchantes prédications. Mais le couvent devint riche et somptueux, et, peu à peu, les moines se départirent de la stricte observance de leur règle. Bientôt, l’église du monastère demeura fermée, les chants religieux cessèrent de retentir sous ses voütes, une clarté triomphante ne vint plus illuminer ses sombres vitraux, et la cloche de la prière ne fit plus entendre son tintement matinal pour réveiller tous les coeurs à l’amour de Dieu. Mais, en revanche, le réfectoire, réjoui de mille feux, ne désemplissait ni le jour ni la nuit; des choeurs bachiques, où perçaient des voix de femmes, frappaient tous les échos de leur sacrilège harmonie, et les éclats d’une folle ivresse annonçaient au voyageur et au pèlerin qui passaient devant l’enceinte du monastère que le sanctuaire de la dévotion et de l’austérité s’était transformé en une Babel d’impiétés et de dissolutions.

C’est ainsi, il arriva que, la veille d’une fête de Noël, les moines, au lieu d’aller célébrer l’office, se réunirent pour un profane réveillon. Cependant, quand vint l’heure de minuit, le frère sonneur étant à table avec les autres, la cloche qui, d’ordinaire, se faisait entendre à cette heure pour appeler les fidèles à la messe, commença a sonner d’elle-même ses plus majestueuses volées. Il y eut alors, dans le réfectoire, un moment de silence et de profonde stupeur. Mais un des moines les plus dissolus, essayant de secouer cette terreur glaçante, entoura d’un bras lascif une femme assise à ses côtés, prit un verre de l’autre main, et s’écria avec insolence: « Entendez-vous la cloche, frères et soeurs ? Christ est né, buvons rasade à sa santé! » Tous les moines firent raison à son toast, et répétèrent, avec acclamation: « Christ est né, buvons à sa santé! » Mais aucun d’eux n’eut le temps de boire: un flamboyant éclair, comme l’épée de l’archange, entrouvrit la nue; et la foudre, lancée par la main du Très-Haut, frappa le couvent, qui oscilla sous le choc, et tout à coup s’abîma à une grande profondeur dans la terre. Les paysans, qui s’étaient empressés d’ accourir à la messe, ne trouvèrent plus, à la place du monastère, qu’un petit lac, d’où l’on entendit le son des cloches jusqu’à ce que le coup de la première heure du jour eüt retenti.

Chaque année, disent les habitants du pays, on entend encore, le jour de Noël, les cloches s’agiter au fond du lac; et c’est seulement pendant cette heure, où les moines sont occupés à faire retentir le pieux carillon, que ces malheureux damnés obtiennent quelque rémission aux tourments infernaux qui les consument de leurs plus dévorantes atteintes. »

 Auteure: Amélie Bosquet, 1844 ( Le Lac de Flers )

(source web http://www.dark-stories.com/le_lac_de_flers_legende_normandie.htm

L’ATLANTIDE ET LA SANCTION DIVINE

Certes nous voyons là une fois de plus le thème de la punition divine par engloutissement sous les eaux (grand classique des légendes de village englouti), mais l’origine mythologique varie dans ce genre de légende.

Autant le « lac de Saint Point » (franche Comté, cf mes deux articles blog à ce sujet) semble très clairement inspiré du mythe de Philémon et Baucis, autant je serais surpris si ce « lac de Flers » ne venait pas du mythe de L’Atlantide.

Je vais ici me contenter de comparer avec une des sources que je crois les plus sérieuses , c’est-à-dire l’évocation de L’Atlantide  par Socrate et Platon dans « Timée «  et « Critias « :

située au delà des colonnes d’Hercule, l’Atlantide est  d’abord dirigée par Atlas, le pays est ensuite  divisé en 10 royaumes ,  il est prospère , abondant en ressources naturelles. Parmi ces dernières on trouve l’orichalque (un métal précieux légendaire, repris par la SF dans la cultissime série « les mondes engloutis »). Poséidon était le dieu tutélaire de l’Atlantide. Le palais principal est particulièrement majestueux ( sur un mont avec des douves concentriques) ; il existe aussi une colonne sacrée sur laquelle sont gravées les lois à respecter en Atlantide. Les héritiers des royaumes se succèdent et s’enrichissent. D’abord  »vertueux » ( c-a-d respectant les lois inscrites sur cette fameuse colonne et méprisant l’excès de richesse matérielle), ils finirent par devenir égoîstes, mesquins et délaissèrent le culte divin. Zeus le leur fit payer en faisant engloutir l’Atlantide en un jour et une nuit (le temps que le continent s’enfonce sous la mer).

Une communauté de gens, d’abord vertueux et pieux, qui  ensuite s’enrichit et se corromp, recevant alors la sanction divine d’engloutissement sous les eaux : la trame du « Lac de Flers » me paraît inspirée de celle du mythe de l’Atlantide.  Dans ces légendes, l’idée de sanction divine n’est donc pas d’origine chrétienne.

Dans ces deux histoires, se retrouver englouti au fond des eaux semble symboliser la « damnation » ( les premiers titans étaient relégués dans les entrailles de la terre, les suppliciés du tartare semblaient ne jamais voir la lumière du jour, et  l’âme des moines chrétiens débauchés ne pouvait pas « monter au ciel ». Je vous, épargne ici une éventuelle comparaison avec les différentes « strates infernales » décrites par Dante).

Certaines versions ont remis le « lac de Flers » au goût de l’époque : on trouve le terme « moines libertins » probablement pour signaler que cette version n’est pas antérieure au « siècle des lumières » et pour marquer les luttes de l’époque entre religieux et athées, Le schéma du mythe de l’Atlantide s’adapte très bien aussi à ces versions là. 

EVOLUTION ET CONTEXTE DU RECIT

Concernant l’Atlantide , il serait long de citer tous les films de série B et autres oeuvres inspirées de l’Atlantide. Je vais donc citer une extrapolation moderne du mythe Dans les bandes dessinées de Marvel, on trouve le super Héros « Namor », prince d’Atlantis (son royaume sous marin à l’architecture « grecque antique »…)

Je crois que l’interprétation mythologique/symbolique  varie selon le village englouti traité (par exemple le  récit du « lac de la Maix » en Lorraine est très différent du « lac de Saint Point «  et du « Lac de Flers »).

Contrairement au « Lac de Saint Point » la fin du récit n’ouvre pas de perspective sur la rédemption à proprement parler, mais sur les plaintes  (les regrets ?) des damnés. On notera tout de même qu’en début de récit le monastère de Flers, fut fondé par un pêcheur repenti. Le thème de la rédemption semble donc présent d’une manière différente du « lac de Saint point » , ce « lac de Flers » cherche-t-il à dire que « l’enfer est pavé de bonnes intentions » ? (Un monastère crée par un repenti finissant en « lac des damnés……est ce là une histoire d’échec de rédemption ? ) . En tous cas on croit sentir poindre le thème du pardon  (la rémission citée en fin de récit, bien que temporaire, le soir de Noêl, mais les dernières lignes du récit décrivent ces moines damnés comme des victimes de leurs tourments plutôt que comme des gens malfaisants). 

Certains récents lacs artificiels peuvent très bien dans quelques générations donner lieu à des histoires de village englouti (par exemple le lac de Vouglans  dans le Jura, au fond duquel se trouve une ancienne abbaye), tout comme certaines très  anciennes habitations sur pilotis en bois, désormais au fond de certains lacs (je crois que le lac Léman en est un exemple), peuvent très bien constituer une « part de vérité »  à l’origine des nombreuses légendes de villages engloutis.

Ce texte peut très bien comporter des erreurs, mais il résume mes actuelles impressions sur le sujet.

PS: le « ‘lac des damnés «  est le titre que Marie –Hélène Delval donne à la légende du lac de Flers dans son ouvrage intitulé « contes et légendes de Normandie ». 

 

 


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