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Bienvenu(e)s sur ce blog dédié aux mythes, contes et légendes classiques mais aussi à la fantasy et à la science-fiction (notamment contes de SF et suites futuristes de légendes, dans mon livre "Les mémoires du Galaxytime").

Retour sur des légendes de Bagnoles

Selon les légendes, le « roc au chien » figurerait un monstre fauve ou dragon perché d’une manière menaçante au-dessus de Bagnoles-de-l’Orne et de ses eaux miraculeuses ayant rajeuni un cavalier et sa monture. Les pierres locales semblent aussi jouer un rôle thérapeutique dans un culte ancien lié à Ortaire (celui qui arrêta le reptile).

Et après ?

On pourrait imaginer, longtemps après les années 2010, l’inquiétant dragon rocheux du « roc au chien » s’animant subitement et se mettant à semer la terreur dans les environs. Afin de venir à bout de la créature, un individu venu en vaisseau spatial se porterait volontaire pour aller rencontrer le monstre sur la colline. Cet extra-terrestre, connaissant très bien la psychologie des dragons de sa planète, déciderait d’utiliser un liquide local. La légendaire eau de Bagnoles servirait alors à stopper un mal d’une autre manière que d’habitude :  le contenu d’une fiole jetée sur le monstre parviendrait à figer ce gigantesque saurien aux côtés des autres roches perchées dans les hauteurs. Dans ce récit futuriste plusieurs personnages traitent à leur manière de la multiplicité des interprétations des légendes. Telle est une partie du synopsis du texte de science-fiction nommé « Le brainstorming interstellaire ». Il s’agit du vingtième et dernier récit de mon recueil de 2015 intitulé « Les mémoires du Galaxytime » (ce livre est disponible en formats papier et ebook ici https://www.amazon.fr/mémoires-Galaxytime-diverses-galaxies-époques-ebook/dp/B00WY71VC8   ). 

Cette parenthèse d’autopromotion littéraire étant terminée, nous allons traiter de diverses histoires  légendaires locales.

Des minéraux salvateurs

Le prieuré Saint Ortaire, situé en forêt d’Andaine à quelques centaines de mètres après la sortie de Bagnoles-de-l’Orne (Normandie) porte aussi le nom de Hameau du Bas Bésier/Bezier (faisant partie de la commune de Saint-Michel-des-Andaines, deux chapelles se trouvent dans ce hameau)  et serait l’ancien refuge de l’ermite Ortaire. Ce dernier, selon la légende, avait sauvé les habitants d’un dragon qui semait la terreur dans la vallée de la Vée. Le monstrueux reptile forçait les habitants à lui livrer des jeunes filles vierges. La Vée est la rivière au bord de laquelle se situe la source d’eau thermale de Bagnoles. Un panneau explicatif dans l’actuel prieuré Saint Ortaire mentionne une pratique que l’on remarque dans le hameau et les bois environnants : les gens qui y viennent en pèlerinage, notamment pour des rhumatismes, posent des pierres un peu partout afin de conjurer le mal dont ils souffrent. Dans l’article intitulé « Les pierres de Saint Ortaire » (in « Bulletin de la Société préhistorique française », année 1917 pages 443-445, texte disponible ici https://www.persee.fr/doc/bspf_0249-7638_1917_num_14_9_7663   ) C. Boulanger écrit ceci « .. d’après la tradition c’est en ce lieu que Saint Ortaire , Hortaire ou Horter, aurait établi son oratoire et se serait occupé de christianiser la contrée au 6ème siècle. »  Puis, un paragraphe plus loin, on lit ceci  :  « Saint Ortaire avait la réputation de guérir les douleurs, les maladies de peau et la lèpre ; c’est ainsi qu’on lui voua par la suite un véritable culte et cette chapelle devint un lieu de pèlerinage très fréquenté notamment le mardi de Pâques ». Quatre lignes plus loin Boulanger écrit : « On est alors surpris d’apercevoir, entre les feuilles, de nombreux petits cailloux, placés dans la fourche des branches du taillis. Les malades, surtout les rhumatisants, s’y rendent en pèlerinage et chacun d’eux place ainsi une pierre à la hauteur correspondant au siège de la douleur qui disparait. Le mal se transmettrait à l’imprudent qui oserait porter une main sacrilège sur ces pierres. »

L’actuel panneau explicatif dans le prieuré indique qu’un éventuel individu portant un jugement moqueur sur ce culte hériterait alors du mal contenu dans les cailloux perchés.

Le texte de Boulanger mentionne ensuite une fontaine contenant une eau guérissant les pèlerins Il s’agit vraisemblablement soit de la fontaine Saint Ortaire (en illustration ci-dessous en fin d’article) située à l’entrée du hameau soit de la fontaine Sainte Radegonde située peu après le prieuré dans la forêt en bordure de l’ancienne voie ferrée. La fontaine Sainte Radegonde est aujourd’hui quasiment asséchée et ces deux fontaines sont probablement moins célèbres que les eaux du centre thermal de Bagnoles et la légende de rajeunissement du cheval Rapide.

Le texte de Boulanger (cf ci-dessus) explique aussi que selon une légende l’ermite Ortaire aurait dit que ces pierres semées dans la forêt permettraient aux gens de retrouver leur chemin. Boulanger écrit ensuite ceci : « retrouver son chemin au moyen de pierres ainsi disposées n’est certainement pas une légende. Nos aïeux les celtes, qui n’avaient que des chemins rudimentaires et des sentes à peines tracées dans les immenses et inextricables forêts de la Gaule, devaient pratiquer cette coutume et penser comme nous qu’elle venait de plus loin encore, de leurs prédécesseurs sur ce sol, les préhistoriques. »
Dans « Légendes de Basse-Normandie : inventaire communal «  (Edouard Colin ,1992) il est expliqué que les branches fourchues dans la forêt environnant le prieuré étaient nommées des « fourchets «  et les pierres plates posées sur les fourchets portaient le nom de « chatiaux ». Cet ouvrage explique lui aussi le culte des pierres qui transmettent le mal à l’individu les faisant tomber.

Confrontation avec le dragon

Comme expliqué dans un précédent article blog -ici  http://www.benoitreveur.info/2015/05/la-legende-du-roc-au-chien.html    le « roc au chien », dans une des versions de la légende serait en fait le dragon pétrifié par Saint Ortaire. L’idée de percher une pierre afin de venir à bout d’un mal  constitue probablement une similitude thématique entre le dragon de la Vée et le culte des cailloux. On peut remarquer que ce « reptile rocheux » se trouve à une bonne cinquantaine de mètres en haut d’une abrupte éminence surplombant la vallée de la Vée juste en face du centre thermal situé en plein coeur de l'actuelle ville de Bagnoles-de-l'Orne, à environ  1,5 ou 2 km du Hameau du Bas Bezier. Cette cinquantaine de mètres s’avère sans doute beaucoup trop haute pour y placer le siège d’une douleur physique humaine, l’être humain le plus grand sur Terre mesurant un peu plus de deux mètres. De plus les dragons sont souvent décrits comme gigantesques, bien plus hauts qu’un humain qui se retrouve obligé d’élever les yeux afin de pouvoir voir le visage du reptile. La similitude entre le dragon figé et les pierres de Saint Ortaire me semble donc résider ailleurs que dans le thème de la douleur physique.

Le caractère haut perché du « monstre rocheux » peut-il symboliser une sorte d’élévation de l’esprit humain ? L’idée du « mal » figé et figuré par le « dragon » rocheux peut paraître similaire au culte des pierres de guérison de Saint Ortaire. En outre un serpent monstrueux représente plus vraisemblablement les « maux » de l’âme tandis que les pierres semblent surtout désigner les maladies corporelles. Cependant, il reste loisible de supposer que Saint Ortaire savait aussi bien traiter les maladies du corps que les tourments de l’âme. Le culte des pierres semblant aussi servir à retrouver son chemin, on peut toutefois penser que la légende sur les paroles attribuées à Ortaire pouvait aussi contenir un probable sens figuré : il pourrait alors s’agir de l’idée de trouver ou retrouver son « chemin spirituel », le fait de revenir ou rester dans le « droit chemin », l’humain dominé par le dragon semblant en revanche symboliser une voie néfaste. En cela le culte des pierres et la pétrification du monstrueux saurien peuvent donc constituer les vraisemblables composants d’un même thème : le cheminement vers la « guérison » de l’âme.  

La « Fiche d’inventaire du patrimoine culturel immatériel de la France » sur le prieuré Saint Ortaire rédigée par Y. LEBORGNE  (disponible ici https://webcache.googleusercontent.com/search?q=cache:J-KsjhwRYaEJ:https://www.culture.gouv.fr/Media/Thematiques/Patrimoine-culturel-immateriel/Files/Fiches-inventaire-du-PCI/Saint-Ortaire+&cd=9&hl=fr&ct=clnk&gl=fr   ) explique, vers la page 12 que le culte des cailloux guérisseurs étant d’origine préchrétienne, l’image légendaire du dragon figé dans la pierre forme une illustration de l’idée de figer le « mal » dans la pierre. En outre, ce texte explique que le reptile vaincu par Saint Ortaire symboliserait la domination du christianisme sur le culte local antérieur. On peut donc considérer que le culte des pierres perchées sur les murets du prieuré, encore observable de nos jours sur les murs de ce hameau du Bas Bésier, constitue une fusion entre tradition païenne et christianisme.

Comme expliqué ici http://www.bagnolesdelorne.com/voir-faire/sites-de-visite/519221-prieure-saint-ortaire  le volume du caillou ou de la pierre à percher est proportionnel à la gravité du mal à traiter. Il s’avère donc peu surprenant de voir que le « roc au chien » a une taille bien plus grosse qu’un simple caillou. Ce lien indique également que le mal est guéri lorsque le caillou tombe de lui-même. Le panneau explicatif dans le prieuré nous apprend aussi que si un imprudent fait tomber le caillou il hérite du mal en question.

Le « chien-tigre »

Il existe une autre légende de ce « roc au chien «, cette fois avec un « chien tigre », (relatée notamment dans « Guide pratique de Bagnoles de l’Orne médical et pittoresque » par  A. Barrabé, circa 1901). Elle décrit un monstre à corps de bœuf et griffes de tigre. Il s’agirait de la légende  d’un seigneur changé en créature à tête de chien après avoir violé les nonnes d’un couvent la veille de son mariage. La transformation en monstre serait une punition divine. Ce récit aux allures de conte est trouvable sur de nombreux sites web, on peut le résumer ainsi : un seigneur le soir de son enterrement de vie de garçon, viola tout un couvent de nonnes. La sanction divine tomba immédiatement : le seigneur violeur se retrouva changé en ce « chien-tigre ». Le monstre semait la terreur dans la contrée. Un jour un tailleur bossu allait se marier et craignait pour sa promise. La veille du mariage il monta la garde devant la maison de sa future épouse. Le « chien-tigre » se retrouva face au tailleur bossu qui lança trois cailloux en direction du monstre. Au troisième jet de pierre, le corps de la créature se figea dans la roche, formant ainsi ce que nous nommons « le roc au chien ».

Une version plus récente (in « Bois et forêts de Normandie », par Jean-Marie Foubert, 1985) compare ce « chien tigre « à un catoblépas  (mon vieil article sur la créature catoblépas est lisible ici http://www.benoitreveur.info/article-le-catoblepas-83796727.html ). Cet ouvrage présente le « chien fauve » de Bagnoles en ces termes : « Une tête de chien avec des yeux de crapaud et une langue de serpent, un corps de bœuf et des griffes de tigre ». Le texte décrit un monstre jaloux et convoitant les futures épouses des autres car n’ayant pu se marier lui-même depuis qu’il a perdu son apparence humaine. Il écrit également qu’un individu âgé et bossu lui aussi vint donner trois pierres au tailleur en lui expliquant la manière de les utiliser contre la créature.

Les versions de cette légende du « chien tigre » considèrent explicitement le chien comme un animal vil, diabolique et libidineux, d’où la sanction divine.

Qui donc était ce tailleur bossu ? D’où venait ce pouvoir de pétrification du monstre par le jet de cailloux ? Existe-t-il un lien entre cette version et le culte des pierres de Saint Ortaire ?

Les pierres en suspens mais aussi celles qui chutent en vue de traiter un mal semblent donc constituer un thème partagé entre cette version du chien-tigre et la tradition des pierres de Saint Ortaire. Les cailloux lancés par le mystérieux tailleur peuvent faire penser à ceux suspendus qui tombent dans le secteur du prieuré, tandis que le « chien-tigre « pétrifié dans le « roc au chien « peut évoquer un grand mal qui, comme la roche, semble surplomber les humains de manière menaçante. L’individu âgé qui vient donner au tailleur les trois pierres et la manière de les utiliser afin de venir à bout du monstre pourrait-il faire penser à Ortaire, semblant avoir vécu âgé et sachant bien des choses sur la manière de surmonter tel ou tel désagrément ? Le chien -tigre violeur de nonnes et de jeunes filles sur le point de se marier n’est-il pas comparable au dragon de la Vée qui exigeait de se faire livrer des jeunes filles vierges ? Le tandem des deux bossus (le tailleur et le bonhomme âgé) ne remplit-il pas ici la même fonction qu’Ortaire face au dragon ?

Il peut être également intéressant de voir que dans cette version l’animal chien symbolise quelque chose de néfaste tandis que dans une autre légende locale un chien a sauvé un enfant qui allait tomber de cette falaise du « roc au chien ».

Cet article comporte sans doute son lot d’erreurs ou incomplétudes mais voilà pour le moment.

Article écrit par Benoit Rêveur, année 2019

PS : toutes les prises de vues en illustrations ci-dessous proviennent de ma collection personnelle.

Sur le chemin vers le "Roc au chien "

Sur le chemin vers le "Roc au chien "

Les pierres jouxtant le " Roc au chien"

Les pierres jouxtant le " Roc au chien"

Dans tous les recoins du hameau du Bas Bésier on trouve des pierres liées au culte de Saint Ortaire

Dans tous les recoins du hameau du Bas Bésier on trouve des pierres liées au culte de Saint Ortaire

Dans l’actuel Hameau du Bas Bésier/Prieuré Saint Ortaire on peut voir de nombreuses pierres posées un peu partout sur les murs et murets

Dans l’actuel Hameau du Bas Bésier/Prieuré Saint Ortaire on peut voir de nombreuses pierres posées un peu partout sur les murs et murets

La source Saint Ortaire située au bord de la route reliant Bagnoles à Saint-Michel-des-Andaines, à gauche de l’entrée du chemin menant au hameau du Bas Bésier

La source Saint Ortaire située au bord de la route reliant Bagnoles à Saint-Michel-des-Andaines, à gauche de l’entrée du chemin menant au hameau du Bas Bésier

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