Bienvenu(e)s sur ce blog dédié aux mythes, contes et légendes classiques mais aussi à la fantasy et à la science-fiction (notamment contes de SF et suites futuristes de légendes, dans mon livre "Les mémoires du Galaxytime").
En avril dernier, j’avais publié un article concernant un monstre légendaire du Midi de la France, présumé fils du biblique Léviathan et d’un serpent géant : la tarasque (voir ici http://www.unblogreveur.net/article-29969310.html )
Cette fois-ci, direction la Franche-Comté, afin d’y aborder la plus célèbre de ses « spécialités régionales » en matière de bestiaire monstrueux : la vouivre.
ORIGINES DE LA VOUIVRE
Son nom anglais est « wyvern », et parmi ses noms français anciens on trouve : « la guivre », « la wivre », etc…
En termes de « légendes de terroir », on a comme l’impression que cette créature est une légende notablement franc-comtoise.
Il est fréquent d’entendre que le mythe des dragons pourrait avoir entre autres origines des fossiles de dinosaures retrouvés. Alors, dans la même veine : si l’on se souvient que la Franche-Comté possède de nombreuses légendes de tombeaux de géants (il s’agit souvent d’ossements immenses de colonnes vertébrales ou de côtes, venant probablement des dinosaures ou des mammouths, mais que la légende attribue à des hommes de taille gigantesque), il peut y avoir lieu de se demander si la légende de la vouivre viendrait en partie d’ossements de dinosaures ou de mammouths retrouvés dans le Jura.
En tous cas, la vouivre possède des origines celtiques et les romains déjà découvrirent l’existence de cette créature légendaire lorsqu’ils conquirent la Gaule, comme le rapporte Pline l’ancien. J’ignore si à cette époque antique la vouivre venait de Franche-Comté ou d’une autre région gauloise. Mais, de nombreux dinosaures possédant de nombreux traits physiques communs à la vouivre,
je suppose que les méconnaissances paléontologiques dont semblaient pâtir les peuples des époques antiques et médiévales leur ont peut-être inspiré ou favorisé une certaine imagerie mythologique…..
ASPECT:
Il existe plusieurs formes de vouivre. Parfois d’aspect plus ou moins ressemblant au dragon, certains estimant d’ailleurs que la vouivre serait le pendant féminin du dragon. Mais elle présente le plus souvent de fortes ressemblances avec la vipère, avec qui elle partage l’origine latine étymologique « vipera »…. L’autre modèle de vouivre est une sorte de serpent de taille assez grande, doté de grandes ailes de chauve-souris. D’autres descriptions lui attribuent un tronc et une tête de femme et un corps de serpent, ou encore une femme à queue serpentine et au dos équipé de grandes ailes de chauve- souris… Mais le point commun que partagent toutes les vouivres est de posséder une escarboucle à la place d’un œil : c’est une grosse pierre précieuse à la brillance éblouissante.
SYMBOLIQUE :
Il existe actuellement de nombreuses interprétations concernant la vouivre, certaines me semblent plus fiables que d’autres, et j’ignore ce qu’il nous reste ou non de l’origine gauloise de ce monstre légendaire.
En tout cas la légende voudrait, selon certains « bestiaires amoureux » du moyen-âge, que la guivre fuirait avec effroi un homme nu, mais attaquerait et dévorerait un homme qu’elle verrait avec ses vêtements. Les habits symbolisant ici le péché. Dans les bestiaires profanes il semblerait que cela dénote la dame attirée par le faux amoureux vêtu, l’homme nu étant considéré comme l’amant pur, figurant fort vraisemblablement le « bon chrétien » dont la vouivre aurait peur. Cela serait sans doute à creuser, vu cet aspect surprenant : la nudité ou la sexualité me semblant pas ou peu explicites dans l’amour courtois du moyen-âge, mais il semble reconnu pourtant que la vouivre est un serpent diabolique.
En termes de mythologie, depuis l’antiquité, le serpent représente souvent le changement et le renouveau, de par la mue de sa peau. Mais les serpents des bestiaires médiévaux européens sont clairement malfaisants et possèdent eux aussi une escarboucle. Hasard ou non (puisque « vipera »…), la vouivre et le serpent des bestiaires ont de nombreuses caractéristiques en commun, dont le fait de posséder une escarboucle (que certains assimilent à une légende venant d’un œuf de serpent)…
A mon avis la vouivre symbolise fort vraisemblablement le pouvoir sexuel féminin : est-ce un résidu de société ancienne matriarcale ? (comme le mythe des amazones dans d’autres peuples et à d’autres époques…)
Toutefois dans un conte médiéval intitulé « le Bel inconnu » (auteur : Renaut De Beaujeu), la guivre vit une histoire d’amour avec le chevalier envers qui elle est bienveillante et cette histoire semble inspirée de l’amour courtois : la liaison amoureuse avec la guivre étant ici une épreuve initiatique que passe le chevalier, et le baiser échangé avec le chevalier redonne à la guivre sa forme d’origine : une belle princesse humaine.
La symbolique de la vouivre me semble donc très complexe.
MŒURS ET PARTICULARITES:
Les histoires de vouivres abondent en Franche-Comté. Leur liste exhaustive est probablement impossible à dresser : au strict minimum, on dénombre une cinquantaine de localités franc-comtoises possédant leur propre histoire locale de vouivre. Un ruisseau de cette région est d’ailleurs nommé « la Vouivre ». (De nombreux points d’eaux étaient des endroits sacrés pour les gaulois…..)
Les histoires les plus répandues de vouivres me semblent se ranger grosso modo dans 3 catégories : Tantôt volant régulièrement des ruines d’un château haut perché vers une montagne voisine (avec ou sans château à destination), certaines fois parcourant le ciel sous forme d’étoile filante et d’autres fois représentées comme une sorte de serpent ou femme à corps de serpent affectionnant les rivières et fleuves. Elle serait censée vivre dans des ruines de châteaux, dans des grottes, au bord de rivières ou dans des anfractuosités rocheuses. La Franche-Comté offrant de superbes cours d’eau par endroits torrentueux et de superbes paysages assez montagneux, la légende de l’habitat de la vouivre est donc très adaptée au paysage de cette région.
LE « TALON D’ACHILLE » DE LA VOUIVRE
Toutes les vouivres présentent cependant deux points communs : la possession de cette fameuse escarboucle et la vulnérabilités pendant le laps de temps où elles ont posé leur escarboucle afin d’aller se désaltérer dans le cours d’eau. (la vouivre semble avoir comme un besoin vital de se désaltérer).
Il est dit que celui qui attraperait l’escarboucle recevrait alors une grande richesse.
Il existe donc de nombreuses légendes de personnes embusquées près d’un cours d’eau, guettant l’arrivée d’une vouivre afin de lui dérober son escarboucle quand la créature serait en train de boire. Ce schéma là de légende est quasi-invariable, tout comme une autre « constante » dans ce genre d’histoire : les trois quarts du temps le « guetteur » avait pris soin de se construire une cage recouverte de piquants.
La vouivre devient en effet furieuse après avoir remarqué que son escarboucle a été dérobée, s’enfermer dans cette cage constitue donc un bon moyen de se protéger de la colère de la vouivre, en attendant la mort de cette dernière devenue vulnérable : furieuse, elle se jette sur la cage, les piquants qu’elles rencontre choc après choc lui portent « le coup fatal » de façon progressive mais certaine. Quelques uns des chanceux de ces légendes firent ensuite fortune en vendant cette escarboucle.
CEUX QUI BRAVERENT UNE VOUIVRE
Mais dans de nombreux cas, la vouivre trépassée s’est tout de même vengée : le voleur d’escarboucle était bien souvent frappé de maladie ou de vieillissement prématuré, ou encore, tenant l’escarboucle afin d’aller la vendre, il s’apercevait qu’il n’avait plus dans ses mains que des feuilles ou du crottin d’animal.
Dans quelques autres histoires de vouivre, le « voleur » d’escarboucle fut moins chanceux et fut tué par la vouivre lors de la confrontation physique. Je crois important de noter que dans la plupart des légendes de personnes ayant tué une vouivre, vu la technique employée, le personnage a utilisé la ruse et a patiemment attendu que la vouivre se tue à force de heurter la cage ornée de piquants. Les tueurs de vouivres font donc figure moins héroïque que les tueurs de dragons (eux en revanche sont presque toujours des saints ou des chevaliers). Certains cas peu fréquents de vouivre reprennent un élément cher aux dragons : garder un trésor dans leur antre.
HYPOTHESES PERSONELLES : dans les bestiaires médiévaux le serpent est un animal clairement maléfique, en raison de l’influence chrétienne sur les légendes de l’époque, alors que le dragon des bestiaires européens est en fait « ambigu » ( à la fois bon et mauvais de par sa symbolique). Le roman de la liaison entre la princesse transformée en vouivre et le chevalier est il une exception à la règle de la connotation maléfique de la vouivre ? Ou est-ce un signe d’une éventuelle volonté de rendre la vouivre ambigûe et non plus franchement mauvaise ? Ou encore est-ce une allégorie de rédemption ? (n’ôtant pas forcément pour autant le « coté obscur » de la vouivre)
NB : il existe des légendes de vouivre dans d’autres régions plus ou moins limitrophes, par exemple : Bourgogne, Suisse Romande et visiblement Dombes/Beaujolais
PERSPECTIVES POSTMODERNES DU MYTHE ?
Dans certains univers des œuvres d’heroïc-fantasy, il arrive assez souvent de voir le modèle « vouivre volante » (la forme « corps et tête de serpent+ailes de chauve-souris ») servir de monture à des gobelins, à des sorciers maléfiques, etc….
Cet élément me semble quasi-inexistant dans les légendes traditionnelles de vouivre ( qui sont évidemment antérieures à l’apparition de l’heroic fantasy). Cela me paraît en tous cas constituer une belle façon de faire évoluer et d’enrichir le mythe antique à notre époque moderne.
Outre les légendes anciennes et rurales, la vouivre est assez répandue dans la littérature heroic-fantasy anglosaxonne et américaine, c’est dire si la renommée de ce monstre légendaire est devenue internationale et « évolutive »…
Sources:
"Contes récits et légendes des pays de FRance " (Tome 2) Par Claude Seignolle
" les animaux réels et mythiques du moyen âge" (Par Josy Marty Dufaut)