Bienvenu(e)s sur ce blog dédié aux mythes, contes et légendes classiques mais aussi à la fantasy et à la science-fiction (notamment contes de SF et suites futuristes de légendes, dans mon livre "Les mémoires du Galaxytime").
Il y a 2 ans j’avais parlé de la légende tarasconnaise de cette créature. (article ici http://benoitreveur.over-blog.com/article-29969310.html). Mais ce monstre se fait également très récurrent dans les autres légendes du Midi de la France et d’Espagne. La tarasque a même été adaptée par l’heroic fantasy américaine. Et puis, il y a de nombreuses choses à dire sur le thème de la tarasque.
GENERALITES
La plus connue
Même si « en face » A Beaucaire (Gard) on trouve une histoire de monstre reptilien plus ou moins ressemblante (une version locale du drac), la créature de Tarascon semble avoir posé une bonne partie des « constantes » les plus connues de la tarasque.
Voici quelques « caracs » que Jacques de Voragine (13ème siècle) nous livre dans « la légende dorée » :
La tarasque aurait pour père le biblique Léviathan et pour mère un serpent géant nommé Bonnacon. La tarasque, (tout comme la future Sainte Marthe) serait arrivée de Méditerranée pour atterrir en PACA, dans la vallée du Rhône. Pour Jacques , la tarasque, à la fois dragon, poisson et animal amphibien, plus grosse de douze éléphants, possède des dents comme des épées et deux grands boucliers qui la protègent. La tarasque à la force surhumaine dévorait les villageois et les guerriers. Elle faisait aussi sombrer les bateaux naviguant sur le fleuve
(AU PASSAGE : visiblement la psychologie, l’empathie dont Marthe fit preuve pour renverser la situation n’a pas été inventée par De Voragine, mais par d’autres versions de la légende. Chez Voragine il semble s’agir d’une conversion « forcée »’ à coup d’eau bénite, sans réflexion apparente sur les affects liant la vierge Marthe à la tarasque. )
Mais ce n’est pas la seule tarasque….
A Tarascon ou ailleurs, on représente souvent la tarasque comme un animal à la fois mammifère et amphibien massif, à quatre ou six pattes, avec une sorte de gueule de fauve , au tronc recouvert d’une carapace épaisse servant de cuirasse, avec des piquants un peu partout.
Symbolique médiévale :
La tarasque de Tarascon reflète bien entendu une lutte paganisme/chrétienté, comme dans toutes les autres histoires de saints sauroctones. (Mais je crois la chose encore plus compliquée dans le cas de Sainte Marthe et de la tarasque, j’y reviendrai plus bas dans cet article…)
Par ailleurs , je peux me tromper mais je crois que dans les légendes de sauroctones, l’idée de la maîtrise de soi reste une des principales allusions symboliques contenues dans le récit (il y a toujours, l’idée de « dompter la bestiole »). Je pense que la « bestiole », qu’elle soit dragon, graoully, ou coulobre (cf anciens articles du blog) incarne l’idée de la force, du « pouvoir » dans la pensée médiévale : ni bien ni mal en soi, mais pouvant devenir l’un ou l’autre selon l’usage qui en est fait …….
Celle de Tarascon vivait dans une grotte au bord du Rhône creusée dans une roche au pied du futur château de la bien nommée « Tarascon » : le fameux « château du Roy René » .
Les autres tarasques aiment elles aussi l’habitat souterrain, comme nous allons le voir….
Dans une légende rapportée par Claude Seignolle et Amédée Pichot la tarasque aurait gambadé dans des temps antédiluviaux du coté de la Crau, à l’ombre des palmiers de l’époque. Mais selon cette légende la tarasque de Sainte Marthe avait un conjoint(e) tarasque qui aurait ensuite vengé la tarasque de Tarascon en commettant quelques massacres à Arles. Le repaire de cette tarasque serait le légendaire et local « trou des fées ». Les fées y auraient « embauché « la tarasque comme gardienne de la grotte. Tout le monde n’avait pas les qualités requises pour tuer cette tarasque, Celui ou celle qui y arriverait pouvait espérer obtenir un trésor féérique. Celui qui tua cette tarasque se promena dans Arles avec en trophée la tête coupée de la tarasque.
(Il reste toujours comme suite légendaire possible, les bébés tarasques, devenus grands , qui reviennent venger leurs parents…)
L’archétype de la tarasque ne remonte pas au moyen âge, mais à l’antiquité, voire à la protohistoire…. la tarasque possède donc également une symbolique antique, différente de celle médiévale, bien que ne présentant de forme identique à la tarasque médiévale.
Sur la forme les infos me paraissent minces. On peut toutefois trouver certaines versions mythologiques selon lesquelles le héros grec Thésée (celui du minotaure) aurait été confronté à une créature cuirassée dont l’aspect fait penser à celui de la tarasque.
Au delà du thème classique du sauroctone, il peut se révéler important de souligner que Marthe, avant de devenir Sainte Marthe était déjà vierge. elle semble avoir un parcours et une symbolique assez proche de celle des Vierges méconnues des « Saintes Maries de la mer ». (selon les spécialistes ce seraient de vraisemblables adaptations chrétiennes locales de cultes matriarcaux bien plus anciens)….
A) Taurisque
Avant de s’appeler « Tarascon » la ville se nommait »Nerluc »(= »le bois noir »).
Les grecs et romains antiques de la région PACA amenèrent et adaptèrent dans la région le mythe d’Hercule qui eut raison du géant Tauriscus/Taurisque (en revenant d’Espagne après avoir réussi l’épreuve des boeufs de Géryon) …. Certains pensent donc que Sainte Marthe et la tarasque serait une version christianisée de ce vieux mythe d’Hercule/Herakles face à Taurisque.
Ce mythe antique adapté localement comporte , sur le fond, de nombreux points communs avec « Sainte marthe et la tarasque ».Outre la prononciation proche (tarasque/Taurisque), on remarque entre autres que Taurisque vivait lui aussi dans une grotte et terrorisait la population. Un autre élément peut avoir son importance : Hercule vainqueur du combat, sans doute pris dans un bon jour de compassion, épargna le géant Taurisque .
(On peut donc également se demander si « maitriser la tarasque » n’est pas également à rapprocher des symboliques agricoles/naturelles chères à Hercule qui à diverses occasions dompta les animaux, les fleuves violents, etc…L’épisode des bœufs de Geryon symbolisant clairement les débuts de l’élevage, etc…) Cette légende locale peut aussi rappeler celui plus célèbre entre Hercule et le Géant Antée (qui puisait sa force dans le sol et qui entreposait des cranes d’humains qu’il dévorait, car la tarasque va se reposer…….dans les souterrains….)
En revanche les spécialistes ne sont pas d’accord sur l’éventuelle existence d’un lien entre à la bête de Noves », (parfois surnommée « tarasque de Noves ») et la tarasque légendaire.
IL s’agit d’un lyon antropohage (et non d’une tarasque au sens propre), dont nous devons la statue au peuple ancien des cavares. Selon leurs voisins greco-romains il s’agissait d’un culte sanguinaire, en tout cas cette bête évoque la peur, la mort. (elle a au moins ce thème de départ en commun avec la tarasque). Mais le Lion dévorant se retrouve en d’autres endroits de ces contrées d’influence celto/ligure (ailleurs en PACA et on en retrouve aussi en divers endroits du Languedoc Roussillon ). Ce lion aurait pour principale origine les étrusques tout en leur étant probablement bien antérieur. Pour Jacques Debal , ce monstre mangeur d’hommes et entreposeur de crânes humains serait probablement lié à la terre : en gros comme le fauve qui tire sa force en mangeant les humains, la terre inhume les humains et produit en retour des richesses agricoles (cycle vie/mort). De plus ce rapport à la terre, au sol me semble constituer un fil directeur possible dans le thème de la tarasque (le géant antée, les grottes, etc..)
Il y aurait dans cette bête dévoreuse aux origines protohistorique une volonté de représenter la crainte de la mort, la nécessité de trouver un au-delà, etc…. Pour certains, la tarasque domptée par Sainte Marthe représenterait les ravages de la crue du Rhône (ce qui d’ailleurs colle très bien avec la fonction aquatique du Drac dans la ville voisine de Beaucaire..). Sainte Marthe ou Hercule pourraient donc ici représenter les débuts de la navigation, de l’irrigation etc….
EPOQUE MODERNE
Les « fêtes de la tarasque « ont lieu chaque année à Tarascon , la prochaine édition est prévue à Tarason du 23 au 27 Juin 2011 (mais au 15ème siècle la fête avait été placée chaque lundi de pentecôte )
Dans « Donjons Et Dragons » la tarasque a été incorporée par Gary Gygax dans le bestiaire du jeu. La créature y étant assez balèze, et ayant joué trop peu longtemps à « donj’ » pour avoir un niveau permettant de bastonner de la tarasque, je vous encourage donc à vérifier mais je crois me souvenir dans le bestiaire du jeu que cette tarasque faisait dans les 20 mètres de long pour 15 de haut et possèdait une carapace extrêmement résistante qui pouvait renvoyer les projectiles contre son lanceur (y compris les projectiles magiques de type boule de feu), certaines tarasques de « donj’ » se nourrissent non seulement d’humains, et animaux mais aussi de rochers, certaines tarasques, dans les dernières versions du jeu, seraient immortelles. ….
Dans le langage
On entend souvent « la bête faramine » pour désigner la tarasque, (mais aussi la vouivre)…. Voilà quelque chose de .. faramineux -)
LE TARASCOSAURE : ANCETRE DE LA TARASQUE ?
Il me paraît plausible que les découvertes médiévales et antiques d’ossements de dinosaures aient fortement contribué aux légendes de tel ou tel monstre, puisque la paléontologie n’était pas connue à l’époque (et comme il leur fallait tout de même une explication pour ces découvertes d’ossements géants…). « Tarascosaurus » Est le nom donné, en hommage à la légendaire tarasque, aux ossements trouvés au 20ème siècle dans le Midi de la France (notamment dans l’Aude en 1991).
Il s’agit grosso modo d’une sorte de « cuirassé » ressemblant quelque peu au tricératops ou à l’ankylosaure. Mais n’étant pas un expert en paléontologie, une rapide recherche google vous en parlera mieux que moi.
Tenons nous ici une autre explication à l’archétype antique de tarasque évoqué précédemment dans l’article ? (En tout cas la légende de la tarasque d’Arles laisse largement penser que le tarascosaure était connu des anciens du coin depuis un certain temps…)
Désolé je n’ai pas le temps dans cet article de parler amplement des tarasques d’Espagne et de Languedoc Roussillon et de Midi Pyérenées…. (wikipédia le fait mieux que moi au sujet de la tarasque espagnole).
Mais disons qu’à Tarascon Sur Ariège, il s’agit cette fois d’une tarasque dotée de mamelles ( donc fonction matriarcale ancienne , fonction de « terre nourricière » et fonction monstrueuse de la bête réunies en une seule et même créature, tandis qu’en Provence ces fonctions sont divisées par personnages : le monstre, le héros sauveur/sainte marthe…. )
PS : désolé par avance pour les erreurs , oublis ou imprécisions possibles.
sources :
http://www.biblisem.net/narratio/pichseco.htm (avec l’extrait sur la « deuxième tarasque » Amédée Pichot, « Le dernier roi d’Arles, » 1848 Recueilli dans Histoires et légendes de la Provence mystérieuse,
pour « Taurisque » une version est lisible ici http://legendes.occitanes.eu/legendes/herakles_t.htm
livres :
Aimeric Vacher : « monstres, bréviaire des créatures légendaires ou fantastiques » (ed dilecta)
Claude Seignolle « contes, récits et légendes des pays de France » (tome 3) ed omnibus
Marcel Brasseur : « Provence terre de mythes et de légendes « ed terre de brume
N Lazzarini, contes et légendes de Provence